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Causerie Lyon, le 2 novembre 1892.

C'est le 29 novembre 1867 que le boucher Avinain prononça du haut de la plate-forme de la guillotine ces paroles mémorables : Ceux qui avouent sont exécutés, quant à ceux qui nient on ne leur fait rien... Messieurs, n'avouez jamais !

Ce jour-là est un de ceux dont messieurs les assassins devraient pieusement célébrer l'anniversaire. Et si la statuomanie sévissait dans le monde des escarpes comme dans celui des lettres, il y a longtemps qu'Avinain aurait au moins son buste.

Car jamais conseil plus profitable ne leur fut donné. Le calcul serait curieux à faire des accusés dont l'illustre boucher a sauvé la tête, parce qu'ils se sont souvenus de sa maxime de la dernière heure, et qu'ils s'y sont tenus mordicus, malgré les instances enveloppantes de l'instruction et les traquenards de l'audience.

Il est tout à fait hors de doute, par exemple, pour citer un exemple récent, qu'Anaïs Dubois doit à ses dénégations persistantes de ne payer que de quinze mois de prison — ce n'est pas cher, on en conviendra ! — le meurtre de sa soeur. Et pourtant, s'il n'y avait pas, à vrai dire, de preuves matérielles, des présomptions écrasantes pesaient sur elle dont l'ensemble équivalait à une certitude.

Son étrange attitude et ses propos compromettants après la découverte du crime ; sa présence dans l'appartement au moment où sa soeur Lucie a été égorgée ; la disparition du couteau homicide, dont la trace restait sanglante sur un journal étalé dans la cuisine ; d'autres indices encore auraient suffi pour faire d'Anaïs une cliente de M. Deibler, si elle les eût étayés du moindre commencement d'aveu.

Mais c'est une gaillarde résolue et énergique, et non point une chiffe molle comme cet imbécile d'Anastay qui s'est lui-même désigné pour l'échafaud, en avouant tout. La fille Dubois s'est contentée de répondre à toutes les questions, comme Robert le Diable dans son fameux duo : « Non, non, non ! ». Elle a suivi jusqu'au bout le conseil d'Avinain. D'où son succès.

Du sein du Champ des navets, sa demeure dernière, l'ombre décapitée d'Avinain a du être contente !... N'est-ce pas son école qui triomphe ?

On a parlé beaucoup, ces temps derniers, à propos des conférences libre-féministes de Mme Huot, de son collaborateur M. Jules Allix, autre apôtre convaincu de l'émancipation des femmes. Ce Jules Allix est, comme on sait, l'inventeur des escargots sympathiques.

C'est une découverte étrangement comique que celle-là, et un peu oubliée aujourd'hui, car elle date de 1850. Le bon monsieur Allix s'était imaginé avoir trouvé, par l'intermédiaire de ces mollusques, un moyen de communiquer la pensée à distance.

Les escargots, disait-il, possèdent la propriété de rester continuellement sous l'influence sympathique l'un de l'autre, lorsque après les avoir mariés ensemble et mis ensuite en rapport par une opération particulière avec le fluide magnétique, on les place dans les conditions de celle sympathie.

D'où M. Allix concluait qu'il était possible de construire une boussole appropriée pour obtenir instantanément, et à quelque distance que soient placés l'un de l'autre les escargots sympathiques, une commotion particulière appelée commotion escargolique, laquelle se manifeste toutes les fois que la sympathie de deux escargots est excitée par l'approche de deux autres escargots, également sympathiques entre eux et avec tous les autres.

Vous ne comprenez pas grand chose, n'est ce pas, à ce galimatias de sympathies et d'escargots ?

L'inventeur se piquait pourtant d'y voir très clair et pour le prouver il construisit un appareil en forme de roue, dont chaque angle mobile représentait une lettre de l'alphabet et renfermait un escargot convenablement préparé. Le système complet comportait deux appareils, l'un pour l'expédition et l'autre pour la réception. A l'aide de ce truc ingénieux, M. Allix prétendait assurer la transmission de la pensée à toutes distances. Il affirmait même avoir entretenu par ce moyen une conversation suivie et instantanée avec un de ses amis d'Amérique.

Malheureusement le hasard voulut que chaque fois que M. Allix convia des témoins à ses expériences, les escargots refusèrent toute espèce de service en se comportant comme de simples moules.

Dans ces recherches « escargotiques » M. Jules Allix obtint un gros succès de gaîté. Dès caricaturistes représentèrent même ce génie incompris sous les espèces d'un melon entouré d'escargots!

Quant à ces derniers, ils continuent à demeurer sympathiques, toutes les fois qu'il sont apprêtés à la mode de Bourgogne.

J'aurais voulu vous parler de la fête des morts, si chère à tous les coeurs on deuil. Je ne sais pas de religion plus noble et plus profondément humaine que ce culte voué aux êtres aimés qui ne sont plus. Le grand poète Baudelaire a eu là-dessus des vers effroyablement suggestifs, bien propres à réveiller de pieux souvenirs dans les âmes les plus oublieuses :

La servante au grand coeur dont vous étiez jalouseEt qui dort son sommeil sous une humble pelouse.Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs !Les morts, les pauvres morts, ont d'étranges douleurs,Et quand octobre souffle, émondeur des vieux arbres,Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres,Certes, ils doivent trouver les vivants bien ingrats.De dormir comme ils font, chaudement dans leurs drapsTandis que dévorés de noires songeries, Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries,Vieux squelettes gelés travaillés par le ver,Ils sentent s'égoutter les neiges d’hiverEt le siècle couler, sans qu'amis ni familleRemplacent les lambeaux qui pendent à leur grille...

Quelle puissante et douloureuse évocation des ruines qui attendent nos dépouilles mortelles, dans le hideux néant des sépultures !

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