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Causerie Lyon, 6 septembre.

Me voilà revenu des vacances, mes chers lecteurs, et nous allons reprendre, si vous le voulez bien, le fil de nos conversations. Avons-nous eu assez chaud pendant ce mois d'août où le thermomètre a gravi des hauteurs jusque-là inconnues? C'a été pendant des semaines le règne absolu de la transpiration. Et pas moyen de se défendre contre cette température digne de Tombouctou !

Je connais pourtant une méthode pour se rafraîchir, qui a été léguée aux générations échauffées par feu Eugène Chavette. Pendant les périodes caniculaires l'auteur du Saucisson à pattes faisait monter dans son appartement un vaste tonneau rempli d'eau froide. Sommairement vêtu de son lorgnon et d'un caleçon de bains, le bon Chavette s'installait dans ce récipient réfrigérant. Une planchette posée en travers du tonneau supportait ce qu'il faut pour écrire et notre romancier restait là des journées entières, heureux comme un poisson dans l'onde, à pondre des feuilletons qui n'en finissaient plus.

Cette ingénieuse combinaison n'avait pas seulement l'avantage de lui procurer une douce fraîcheur, elle lui permettait encore d'échapper à la meute avide de ses créanciers. Quand un fournisseur impayé réussissait à forcer sa porte, Chavette, qui plongeait comme un phoque, s'affalait tout simplement au fond de son tonneau. Et l'importun, à cent lieues de soupçonner ce truc invraisemblable, s'en allait comme il était venu...

Le procédé réunit, comme on voit, l'utile à l'agreable. Je suis heureux de le mettre à la portée de nos contemporains.

Malgré la villégiature automnale qui fait déserter la grande ville aux heureux de ce monde, nous avons eu, à Lyon, une série de représentations très intéressantes. Antoine est venu avec la troupe du Théâtre- Libre, nous initier à l'art nouveau.

Il s'est bien gardé pourtant, et il n'a pas eu tort, de nous exhiber les pièces les plus révolutionnaires de son répertoire, — celles qui donnent une exacte et complète idée de l'esthétique du Théâtre-Libre. Le but des auteurs dont Antoine est le Talma, consiste, comme on sait, à faire des pièces où il n'y a pas de pièce. On prend un événement quelconque de la vie courante, — de préférence dans un milieu assez vilain où se meuvent des personnages généralement répugnants, — et on le met sur la scène sans autres artifices, avec la seule préoccupation de reproduire ce qu'il y a de plus bas dans les détails matériels et de plus laid dans les traits de moeurs.

Que si la chose vous choque par son réalisme outrancier, qu'elle vous ahurisse par son obscurité, ou qu'elle vous « rase » par la navrante platitude de l'intrigue : la faute en est à vous, qui êtes un esprit réactionnaire fermé aux manifestations du théâtre moderne.

Les oeuvres qu'on nous a jouées - à Lyon, à part l'immonde Ecole des Veufs, ne sont pas conçues exclusivement sur ce modèle, sans quoi elles fussent sûrement tombées à plat. Si elles ont réussi, c'est justement parce que les règles éternelles et absolues de l'art dramatique n'y sont pas toujours violées, quelque parti pris que les auteurs y aient voulu mettre.

Là où je trouve surtout un effort d'art vraiment neuf et une tendance intéressante, c'est dans l'interprétation d'Antoine. Celui-là est sûrement un artiste d'envergure, un chercheur intelligent et un esprit original. Il arrive aux plus grands effets sans avoir l'air de les préparer, uniquement par la conscience et le naturel de son jeu . Son succès a été considérable et, personnellement, j'y ai applaudi de tout coeur.

En somme, on a fait chez nous un excellent accueil aux comédiens du Théâtre- Libre, tout comme à la compagnie du Chat- Noir, il y a six semaines. Ce qui prouve que les bonnes gens de province ne méprisent pas les spectacles qui exigent quelque éducation littéraire — ainsi que voudraient le faire croire la demi-douzaine de boulevardiers de lettres, pour lesquels la France intelligente commence à la Madeleine et finit au Gymnase

Il y a souvent d'amusantes observations à recueillir dans ces salons de Casinos dont les rastaquouères et les cocottes forment la population accoutumée.

C'est ainsi que l'autre jour, à Aix-les- Bains, j'ai entendu une réponse bien cocasse jaillir d'un de ces anges déchus, dont la rédemption coûte si cher aux fils de famille. On prononçait devant la suave enfant — une horizontale lyonnaise de première marque, s'il vous plaît ! — le nom de Zola. Zola ? interroge-t-elle avec sérénité. Ah ! oui, j'en ai entendu parler. N'est-ce pas une femme chic de Paris ? O vanité de la gloire !

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