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Causerie Lyon, 3 août.

Nous venons d'avoir, à Lyon comme, à Paris, les concours du Conservatoire. Même, on est ici plus avance que là-bas, attendu que la distribution des prix aux lauréates et lauréats a déjà eu lieu avec tout l'éclat accoutumé — comme disent les reporters.

Seulement ce qui a manqué d'éclat c'est le concours. Je ne vois pas pourquoi je ne dirais pas tout haut ce que chacun pense tout bas — et ce qu'ont dit déjà quelques-uns de mes confrères — Il faut supprimer les classes d'opéra et de déclamation au Conservatoire.

Est-ce la faute des professeurs? Est-ce la faute des élèves? Toujours est-il que ni les uns ni les autres ne font quoique ce soit de présentable. L'an passé: c'était déjà médiocre. Celle année nous tombons dans le pire. Alors à quoi bon s'obstiner ? A quoi bon jeter par les fenêtres l'argent des contribuables? A. quoi bon continuer l'exploitation de cette usine dont les produits trouvent rarement un placement convenable, et qui ne fabrique le plus souvent que des déclassés ?

Mon Dieu ! je n'incrimine personne. Je suis sûr que les maîtres font de leur mieux et les élèves aussi ! Mais que voulez-vous ? Là où il n'y a rien, le diable lui-même perd ses droits. De même que pour faire un civet il faut un lièvre, ainsi, pour faire un artiste, il est indispensable d'avoir à un certain degré tout un ensemble de qualités naturelles rares et précieuses. Les jeunes gens et les jeunes filles qui suivent les cours du Conservatoire de Lyon ont-ils ces dons innés — sans lesquels mieux vaudrait pour eux travailler du labeur modeste de tout le monde ou songer simplement à devenir de bonnes femmes et de bonnes mères de famille ? Non. Cent fois non.

En déclamation, nous avons vu, cette année, comme à l'ordinaire, le fort en thème et en aplomb, faisant tout ce qui concerne son état. Mais pour lui, qui n'a ni goût ni esprit, ce sera toujours un « état » et jamais un art. On nous a montré encore la jeune ingénue, un peu « gnolle », ainsi que le veut la tradition, qui a flûté le rôle d'Agnès: Le petit chat est mort ! Et puis, dans le chant, un tas de falcons, de chanteuses légères, de barytons, toute la lyre ! A part une exception, ces demoiselles ont plus de chance d'arriver comme disait le le père Auber « par la voie de leur charme que par les charmes de leur voix ». Chemin détourné qu'elles n'emploieront pas j'en suis sûr. Et quant aux hommes qui n'ont point celle ressource, je leur conseille tout uniment de renoncer à la gloire des planches, au maillot de Faust ou au pourpoint de Fernand.

Et puis c'est tout. Voilà le bilan de cette année. Voilà les réflexions sévères mais justes — oh, oui justes ! — qu'il suggère à quelqu'un qui serait ravi de pouvoir crier bravo !

Apres l’AgésilasHélas !Mais après l’AtillaHolà !
mieux vaut en finir que de dégringoler de la sorte. Et j'estime que la suppression des classes de déclamation et d'opéra du Conservatoire de Lyon s'impose, aussi bien dans l'intérêt du budget municipal que dans l'intérêt bien entendu de l'art lyrique et dramatique.

Au théâtre Bellecour, le gentilhomme Salis, seigneur de Chatnoirville-en-Vexin, et sa Compagnie ont soumis aux Lyonnais un peu ébahis — je parle de ceux qui ne connaissaient pas déjà ce divertissement de haut goût — un échantillon amusant de l'art tout à fait « nouveau jeu » qui se débite à Montmartre, en des cabarets moyenâgeux où la bière s'appelle de la cervoise et le bock un hanap. Ici, pourtant, le haut baron Rodolphe Salis s'est vu obligé de se montrer moins truculent dans ses apostrophes au public. Au Chat noir il y met moins de façons et sa verve un peu grosse, mais si franche ! s'exerce sur « messeigneurs » ses clients avec plus d'impertinente drôlerie. A Lyon, dès le premier jour, il a compris que cet excès de blague choquerait un peu nos bonnes gens de province

Sa réserve diplomatique n'a pas empêché le noble sire de nous égayer fort, ou plutôt de « moult nous esbaudir » pour employer son idiome rabelaisien.

Quant à la Compagnie ç'a été un triomphe. Triomphe pour Jules Jouy, Jacques Perny, Delmet et Hyspa ; pour la poétique Marche A l’Eloile de Fragerolles ; pour cette étincelante fantaisie néo-grecque — statuette de Tanagra retroussée à la Grévin — qui s'appelle Phryné, par le bon poète Maurice Dornay, et enfin pour l’Epopée de Carand'Ache, où de simples ombres chinoises représentent la grandiose aventure impériale avec une réalité puissante qui donne le frisson épique...

Mais je ne sais pas pourquoi je vous parle si longuement de toutes ces choses : vous les avez vues et goûtées, j'en suis sûr. Et dans le prochain numéro l'alerte crayon de Girrane vous retracera les ébats de, la Compagnie « montmertroise» avec un esprit tout chatnoiresque.

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