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Causerie Lyon, 20 juillet.

Maintenant que le régime représentatif et parlementaire est adopté à peu près partout dans les nations civilisées, chaque pays est agité périodiquement de cette maladie d'un genre particulier qui s'appelle la fièvre doctorale.

Il y a trois mois c'était en France que sévissaient les réunions publiques tumultueuses, dans lesquelles les arguments sont trop souvent remplacés par des coups de gueule ; c'était en France et particulièrement à Lyon, où s'échangeaient les polémiques destinées à faire passer des adversaires pour des bandits, uniquement parce qu'on n'est pas de la même opinion.

Aujourd'hui c'est le tour de l'Angleterre. Nos voisins d'Outre-Manche sortent à peine des élections pour la Chambre des Communes, et malgré le flegme et la correction britanniques la lutte a pris un caractère passionné et violent auprès duquel nos menus incidents électoraux paraissent de vraies idylles.

La grande presse de là-bas s'est jetée dans la mêlée et a combattu d'estoc et de taille avec une ardeur extrême. Mais ce dont nous n'avons pas en France la moindre idée, c'est du rôle énorme que jouent dans les élections anglaises les journaux à caricatures. Chez nous tout se borne à un dessin publié de temps à autre par quelque feuille hebdomadaire. Dans le Royaume Uni, c'est une prodigieuse éclosion de journaux à grand tirage, de brochures épaisses répandues à des millions d'exemplaires, que chaque parti consacre à ridiculiser le clan adverse par la charge comique. Et il faut voir dans quelles postures cocasses et avec quelles légendes à l'emporte-pièce sont représentés les « leaders » comme lord Salisbury et M. Gladstone ! John Bull aime la grosse farce et les lourdes plaisanteries : on lui en fourre jusque-là !

Dans la rue, dans les « meetings » c'est bien autre chose ! On se boxe assez volontiers et il arrive fréquemment qu'on échange des coups de bâton. Quant aux procédés d'élections, ils manquent tout à fait de « respectabilité ». Le marchandage des votes et la corruption des suffrages se pratiquent ouvertement sans la moindre vergogne, — quelquefois même aux enchères publiques. Malgré M. Wilson, nous n'en sommes pas là sur la terre française...

Un des traits de moeurs les plus caractéristiques des élections anglaises, c'est encore la part active qu'y prennent les femmes des candidats. Accompagnée de ses amies les plus avenantes, madame la candidate se rend au domicile des principaux docteurs et fait tout ce qui dépend d'elle — oh! en tout bien, tout honneur et sans être shocking ! — afin de les amener à voter pour son mari. On prétend — et cela me paraît certain — que ce genre de manoeuvres est particulièrement redouté du candidat célibataire, surtout quand la femme de son concurrent est jolie.

Puisque les modes britanniques sont si fort en faveur chez nous on devrait bien importer celle-là. Les campagnes électorales y gagneraient en agrément et ce serait, peut-être un moyen infaillible pour empêcher les abstentions dont nos politiciens se montrent si marris...

Les dissertations n'ont pas manqué sur le point de savoir si la science aurait pu prévoir le foudroyant et effroyable cataclysme qui a dévasté Saint-Gervais et fait tant de victimes. La conclusion unanime a été qu'il eût été possible, grâce à une étude sérieuse du glacier voisin, non pas d'éviter le désastre matériel, car la nature a des forces que l'homme ne peut dompter, mais de déterminer l'imminence du danger et d'en prévenir à temps tous les malheureux dont nous pleurons aujourd'hui la mort.

Mais voilà bien l'administration française! Nous avons des savants éminents, des géologues de haute valeur, et au lieu de les employer à l'étude des montagnes françaises, dont les mouvements inspirent dos inquiétudes, on les expédie à l'étranger, dans les Balkans ou dans l'Oural ! N'est-ce pas le cas de M. le professeur Déperet, de la Faculté des sciences de Lyon, auquel le gouvernement vient de confier une mission en Autriche-Hongrie? Il eût peut-être été plus intéressant, plus utile et plus simple de l'envoyer tout bonnement en Savoie.

Nous sommes vraiment comme l'astrologue de La Fontaine, qui se laissait choir dans un puits tant il accordait d'attention à regarder la lune!

Un joli mot entendu récemment dans une ville d'eau de la région lyonnaise :

Le théâtre de cette élégante station possède une jeune étoile qui promet d'atteindre promptement à la première grandeur : une voix d'or, une frimousse adorable et presque autant d'esprit que Déjazet. Naturellement elle compte ses admirateurs à la douzaine. Mais tous ces messieurs sont fortement gênés par la mère, une vigoureuse matrone rébarbative et vigilante comme un gendarme. Aussi a-t-on surnommé cette dernière : La barrière de l'Etoile !

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