Causerie
Le prince Napoléon ne laissera pas une trace brillante dans l'histoire.
M. Ernest Renan vient de se livrer à une chaleureuse apologie de ce César déclassé, qu'il considère comme un très grand esprit et un fort beau caractère. Je crois que c'est beaucoup dire. Tout en faisant la part des hostilités de partis, il est permis de se montrer assez sévère pour Jérôme Bonaparte, qui se distingua par son intelligence plus que par la beauté de son caractère. Il y a quelques années, le maréchal Canrobert disait de lui : S'il devait régner, ce serait Tibère
.
On voit qu'il y a loin de ce jugement sommaire, mais significatif, à celui de M. Renan. Ses amis prétendent qu'il blâma le coup d'Etat ; cela ne l'empêcha pas, du moins, d'en profiter. En 1884, il écrivait : Je n'ai pas l'or des Orléans. Je suis pauvre. et je m'en honore.
S'il était pauvre, ce n'était pas la faute de la France, car du 25 décembre 1852 au 4 septembre 1870, il toucha la respectable somme de 37 millions 178,000 francs. Et notez que pendant la même période, la dotation du Palais-Royal qu'il habitait, et du château de Moudon réservé à sa villégiature, absorba près de cinq millions. Sans parler des vaisseaux de l'Etat mis fréquemment à sa disposition pour des voyages effectués aux frais du trésor public, et de bien d'autres revenants-bons considérables. S'il était resté pauvre après cela, il n'en pouvait donc accuser que lui-même. On ne voit pas bien quels services il a pu rendre à la France en échange de tout ce qu'il en avait reçu.
Ce ne sont toujours pas des services militaires, bien qu'il eût été bombardé général de division, tout en étant parfaitement hors d'état de commander une simple patrouille. On lui avait fait pourtant, sous le sobriquet de Craint-plomb, une réputation de couardise très probablement exagérée. Il se bornait à ne pas être un foudre de guerre. Parmi les traits dont il fut criblé à ce sujet, je vais en citer un qui est tout au moins très drôle. On prétend qu'il insistait, la veille de la mort de son père le vieux Jérôme, pour aller près de son lit lui demander de ses nouvelles. Le docteur Rayer lui dit :
Ne troublez pas le repos de votre père, monseigneur; d'ailleurs, il ne vous reconnaîtrait pas.
Le prince passe outre et, suivi du médecin, s'approche du lit. Au bruit de ses pas, le moribond entrouvre les yeux et murmure :
Ah ! c'est toi, mon brave...
Et le docteur Rayer, en hochant tristement la tète :
Vous le voyez, monseigneur, votre père ne vous reconnaît pas ! !
Plus de races !
hurlait-il en agitant frénétiquement sa boule noire ornée d'astrakan et incrustée d'ivoire. Je me demande si l'état d'avancement de la science pourrait permettre actuellement de supprimer la différence notable qui existe entre les nègres et les blancs. Je ne le pense pas. Le nègre est généralement bon teint. Il défie les réactifs les plus énergiques. Tous les efforts des internationalistes réunis ne pourraient, je le crains, suffire à blanchir un seul noir.
L'union fraternelle des peuples est un de ces beaux rêves d'avenir que nos arrières petits-neveux verront peut-être entrer enfin dans le domaine de la réalité. Pour le moment, il faut se contenter d'aubaines moins considérables, mais plus sûres. Ne soyons pas exigeants et soyons pratiques. Imitons l'exemple de ce pauvre diable flânant par désoeuvrement à la Bourse et auquel un coulissier faisait des offres de service :
Voulez-vous dix mille rente fin courant ?
Si ça vous est égal, répondit-il avec douceur, j'aimerais mieux cent sous tout de suite !