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Causerie Lyon, G juillet.

Nous sommes dans la période des exécutions capitales. Le prussien Hadelt, l'assassin du trappiste d'Aiguebelle, a gravi mardi matin, à Valence, les marches de l'Abbaye de Monte-à-Regret, — comme disent les forçats — et on assure que Koenigstein, dit Ravachol, cet autre Allemand, lui aussi assassin d'un moine, l'ermite de Chambles, et en plus dynamitard, va un de ces matins avoir avec M. Deibler quelques instants de conversation vive et animée sur la place de Montbrison.

Ah ! nous ne sommes plus comme sous la présidence du père Grévy !

C'était alors un temps dont les justiciables de la guillotine ne parlent sans doute qu'avec mélancolie. Car il n'y avait pas d'épouvantable assassin et d'atroce bandit qui ne trouvât grâce devant le chef de l’Etat, lequel appliquait tranquillement au pouvoir ses théories de philosophe partisan de l'abolition de la peine de mort.

Je ne sais si M. Carnot pense sur ce point comme son prédécesseur ou bien s'il estime avec Alphonse Karr « que messieurs les assassins devraient bien commencer ». Quoi qu'il en soit, il considère que la loi étant encore debout, son devoir est de la respecter. Et très impartialement, très courageusement aussi, il adopte toujours l'avis de la commission des grâces. De sorte que M. Deibler n'est plus comme jadis un bourreau honoraire, mais un véritable exécuteur ayant assez souvent de « hautes oeuvres » à accomplir.

Il paraît qu'Hadelt est mort sans peur. Pas un muscle de son visage; n'a tressailli, rien dans son attitude n'a décelé la crainte instinctive et terrible du non-être, qui s'empare presque toujours des misérables en présence du sinistre couperet. Ce mépris de la mort est assez rare. La plupart des criminels se débattent au contraire contre l'expiation avec l'énergie du désespoir et des rages de bête affolée. Tel, Avinain, l'horrible boucher qui dépeçait le corps de ses victimes, l'auteur du fameux axiome : N'avouez jamais !

On fut obligé de le garrotter pour l'empêcher d'étrangler l'exécuteur.

L'assassin du père Ildefonse n'a pas « planché ». Un des rédacteurs du Progrès qui assistait à l'exécution m'a dit avoir trouvé admirable le sang-froid de Hadelt. Mais lui-même a failli s'évanouir de saisissement en recevant sur la main un jet de sang, qui avait giclé sur les assistants groupés autour de la guillotine quand le couperet s'est abattu.

Heureusement que M. Deibler n'est pas aussi sensible, sans quoi le métier ne serait pas tenable. Tout de même, et si grande que soit l'impassibilité acquise dans l'exercice de sa profession, il me semble que par instants il doit regretter de n'être pas notaire!

J'aurais bien voulu vous parler de notre Concours de marche. Ce sera pour le prochain numéro. Nous voulons en effet que nos intrépides gymnastes trouvent dans le Progrès Illustré une série complète et irréprochable de gravures reproduisant leurs exploits. C'est ce qui explique que dessins et articles sur le Concours soient remis à la semaine prochaine. Mais soyez sûrs que vous ne perdrez rien pour attendre.

Je puis bien vous dire dès aujourd'hui ce que vous savez déjà, à savoir que la fête a paru à tous magnifique et des mieux ordonnées, et que la course a été enlevée le plus vaillamment du monde par les sections. Trente-six sont arrivées complètes au poteau, avec une moyenne de sept kilomètres et demi à l'heure, sur une distance de vingt lieues. C'est un résultat superbe, qui dépasse même les espérances que les organisateurs avaient conçues pour cette manifestation patriotique — ludus pro patria !

C'est maintenant la saison des villégiatures. L'autre jour, à la Bourse, le fameux baron du Rapiat, aussi célèbre par ses millions que par sa rapacité, disait à quelqu'un : Je veux me reposer et je vais partir prendre les eaux.

Ce diable de baron ! repartit l'autre, même quand il se repose il faut quand même qu'il prenne quelque chose !
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