Sommaire :

Causerie Lyon, 7 juin.

Depuis qu'il fait aussi chaud à Lyon qu'à Tombouctou, les directeurs de nos scènes lyonnaises « mangent du nègre » — métaphore audacieuse qui me paraît devoir remplacer avantageusement l'expression « broyer du noir ». C'est qu'en effet il faut avoir le courage des Stanley ou des Brazza pour braver les températures de serre chaude qui sévissent dans les salles de spectacle. Il n'y a que les passionnés de théâtre ou les condamnés aux travaux forcés de la critique qui se hasardent dans ces fournaises. Et alors, malgré l'affiche, les bureaux de location ne sont pas précisément « le pays de l'or ». D'où la mélancolie des directeurs, lesquels plus encore que la nature, ont horreur du vide... dans leurs caisses.

Notre cher maître Francisque Sarcey, — retour de Vienne, où les princes du sang ont eu l'honneur de déjeuner avec le prince de la critique — racontait dans son dernier feuilleton que les théâtres viennois ne souffrent pas de ce mal caniculaire. Les architectes de là-bas ont trouvé le moyen de souffler, à leur gré, le froid et le chaud, comme, le satyre de la fable. De puissants appareils de ventilation permettent de régler à volonté la température de la salle. Le Directeur n'a qu'à presser sur un bouton pour avoir dans son théâtre le climat de l'Arabie Pétrée ou celui du Kamschatka. Et il en use habilement pour y distribuer, à la grande commodité de ses abonnés, la fraîcheur ou la chaleur, suivant les saisons.

Voilà une innovation autrichienne dont nos architectes français devraient bien s'inspirer. Nous avons chez nous beaucoup de théâtres, obligés par leur cahier des charges de jouer pendant l'été, comme notre scène des Célestins, qui demeure ouverte en juin et en septembre. Pourquoi Lyon resterait-il en retard sur Vienne ? Pourquoi le public de nos théâtres ne serait- il pas défendu contre les ardeurs estivales par les mêmes moyens qui réussissent si bien à l'étranger ? Renvoyé à M. Kirsch, le très habile architecte de la Ville, et à l'adjoint aux beaux-arts, le sympathique M. Chevillard, qui signalerait ainsi son entrée dans l'administration par un don de joyeux avènement que tout le monde apprécierait.

Encore un lugubre accident sur le lac du Bourget ! Neuf personnes, des jeunes gens pour la plupart, en voyage d'excursion à Aix, se sont noyées en voulant faire la traversée du Grand-Port à Hautecombe sur une embarcation trop frêle.

Ce n'est pas la première fois que se produit une telle catastrophe. Le lac du Bourget est aussi redoutable que séduisant. Il attire avec ses eaux bleues qui ont la douceur d'un regard de femme, avec ses horizons grandioses et changeants, avec sa ceinture de montagnes vertes. Mais il a d'insondables profondeurs, et de terribles coups de vent y surgissent tout à coup qui submergent les barques. Et rarement le lac rend les cadavres de ses victimes. L'onde perfide et jalouse les garde à jamais.

Touristes curieux des paysages pittoresques, jeunes gens désireux de clore un jour de fête par une promenade en bateau, joueurs excités par les émotions du tirage à cinq qui cherchez un calme réparateur, et vous, pieux amants, qui venez quérir sur ces bords les souvenirs du grand poète et relire les vers harmonieux de Lamartine là où ils furent vécus — méfiez-vous du Lac, même quand il dort paisible et azuré...

Ces pauvres notaires ! On ne peut donc pas les laisser tranquilles à gérer leurs études « leurs chères études », et à digérer leur dîner ! Tout le monde est pendu à leurs chausses et c'est à qui arrachera quelques plumes ou donnera quelques taloches au notariat râlant.

Samedi dernier, à la Chambre, ce sont encore les tabellions qui ont fait les frais de la séance. Un député a dit des horreurs sur leur compte et sur leurs comptes. D'après cet ennemi des notaires, les clients auraient été « refaits » par eux de 60 millions on cinq ans, et, en 1889, cent trois de ces officiers ministériels auraient été destitués de leurs panonceaux, pour coups de dents donnés à la grenouille.

Fichtre ! quel réquisitoire ! Cela rappelle le mot, injuste sans doute mais franchement comique, de Baudelaire. L'auteur des Fleurs du mal, dînant un soir chez des bourgeois, éreintait cruellement les notaires. Il y en avait un parmi les invités. Je vous assure, monsieur Baudelaire, dit-il, que tous les notaires ne sont pas au bagne... C'est vrai, répondit le poète d'un ton aimable, on en a guillotiné plusieurs !

Une statistique récente — vous savez que cette science fureteuse s'occupe de tout — vient d'établir que le nombre des végétariens a considérablement augmenté en France depuis dix ans. Beaucoup de gens croient aujourd'hui que là où il y a de l'hygiène il ne peut pas y avoir d'entrecôte ni de charcuterie. Et la chair est remplacée sur leur table par des petits pois, des navets, des épinards ou autres légumes, à l'exclusion de. tout aliment d'origine animale.

Il est des jours, pourtant, où les plus enragés végétariens ont la nostalgie de la côtelette et du gigot. Pour ceux-là, on a composé le menu ci-dessous : Riz …de veau Noix …de porc Fraise …d'agneau Haricot …de mouton

La recette, peut servir également aux estomacs dévots, désireux de faire gras tout en respectant le maigre du vendredi.

droit d'utilisation : Licence Ouverte-Open Licence

Retour