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Causerie

L'histoire des quatre duels de M. Roulez est une des plus grandes mystifications des temps modernes. Les fumisteries célèbres sont dépassées de loin par ce joli canard. M. Roulez est, paraît-il, un inventeur de mérite dans les choses de l'électricité. Pourtant son invention la plus réussie est encore celle de ce combat épique, mais imaginaire, sur lequel, pendant trois jours, le monde entier s'est emballé.

Est-ce-à dire, toutefois, que M. Roulez sorte grandi de l'aventure et qu'il ait, comme il s'en targue, les rieurs de son côté? La prétention paraîtra sans doute excessive. Car enfin, du rang d'un preux à celui d'un plaisantin, la chute est cruelle.

Notre ingénieur s'était placé par son quadruple duel, au niveau des plus fameux fiers-à-bras ; tous les illustres ferrailleurs, tous les friands de la lame dont les historiens et les écrivains romantiques nous ont compté les exploits, n'étaient plus rien à côté de M. Roulez. Du coup, ce bourgeois rassis avait fait pâlir la gloire légendaire du Cid, de Bussy d'Amboise, de d'Artagnan et du chevalier de Saint-Georges.

Il n'est plus aujourd'hui que l'émule de Sapeck ou de Lemice-Terrieux. De héros il dégringole fumiste. C'est une renommée qui peut paraître enviable à M. Roulez, mais elle ne vaut pas l'autre. Sans compter que pas mal de gens ne se gênent point pour penser et pour dire qu'il n'eût pas commis cette retentissante excentricité, s'il eût été parfaitement sain d'esprit.

Quoi qu'il en soit, on ne saurait contester la belle taille et l'envergure du canard. Rien d'aussi complet n'a été lancé dans la circulation depuis le serpent de mer du Constitutionnel. M.. Roulez a manqué sa vocation. Avec une imagination aussi puissante il aurait dû se faire journaliste...

Le jury des Alpes-Maritimes vient de prononcer son verdict dans l'affaire Deacon. Le mari meurtrier a été condamné à un an d'emprisonnement, pour avoir mis en pratique ce fameux : Tue-le ! que M. Alexandre Dumas regrette si complètement aujourd'hui.

Il est de fait qu'avec le divorce, cette porte dérobée qui permet d'échapper à l'enfer conjugal, le droit au meurtre que s'arrogent les époux outragés est odieux et inhumain. A quoi bon verser le sang, à quoi bon jouer du revolver, puisque sous la main vous avez le divorce, qui est aux délits de lèse-mariage ce qu'est l'amnistie aux crimes politiques, c'est-à-dire un coup d'éponge qui efface tout ? Le « tue-le » doit être remplacé par un autre mot d'ordre : « Lâche-la ! », infiniment moins cruel et infiniment plus pratique.

C'est sans doute ce sentiment qui a dicté le verdict du jury de Nice, auquel tout le monde a applaudi. Il était à peine rendu qu'un autre drame du même genre, qu'une nouvelle tragédie du mariage se déroulait à Paris. Cette fois c'est la femme légitime qui a tué la maîtresse — la légitime d'un autre, elle aussi, — en respectant pieusement les jours de son mari.

Mais en revanche elle s'est acharnée avec une rage atroce sur sa victime. Mme Reymond invoquera sans doute,comme excuses, les ardeurs de son tempérament de créole. N'importe. La façon dont elle a joué du revolver et du poignard sur le corps de cette pauvre petite madame Lassimonne, ressemble beaucoup à de la férocité. Et si M. Lassimonne allait s'offrir maintenant la même vengeance sur la personne de M. Reymond, l'ami qui a été son « correspondant » comme disent les Anglais ?

Non, non, il n'est pas possible de tolérer de pareilles boucheries, sous prétexte qu'elles sont motivées par un emballement passionnel. Ce sont là des moeurs de Canaques que les magistrats français ont le devoir de punir sévèrement. Car il n'y a pas à mâcher les mots. Aujourd'hui que le divorce existe, l'homicide pour cause d'adultère n'est plus qu'un assassinat !

Dans cette sanglante affaire Reymond- Lassimonne, ce qui fait le plus frissonner, ce n'est peut-être pas le récit du meurtre, ni même la vision navrante de la mort tragique frappant la jeune et jolie femme qui a expiré avec ces deux mots sur les lèvres : Ma fille ! Maman ! — c'est le mot effroyable prononcé par Mme Lassimonne mère : Je viens de tuer votre bru ! lui dit madame Reymond. Vous avez bien fait ! répond l'autre. Peut-on être plus cruellement belle-mère ?

Les coquilles ont sévi cette semaine avec intensité dans la presse lyonnaise. Un journal du matin a, sans le vouloir, appelé l'Université Aline Macker, au lieu de Alma Mater. Et dans le même numéro de la même feuille, Mme Marie Kolb, l'aimable artiste qui joue dans Monsieur Chasse, aux Célestins, le rôle de madame Duchâtel, a pu voir son nom imprimé : Marie Colle.

Cela rappelle les coquilles légendaires et toujours amusantes à citer : celle du journal des Débats, qui fait dire à M. Guizot, parlant à la tribune : Je suis à bout de mes farces au lieu de : Je suis à bout de mes forces ; celle du Monde : L'amour du sucre (un s au lieu d'un 1), rétrécit l'âme et racornit le coeur ; et enfin celle qu'un typographe facétieux commit dans un volume d'Alphonse Karr en remplaçant cette phrase : La vertu doit avoir des bornes par La vertu doit avoir des cornes !

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