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Causerie

Ce fut en 1889, pendant l'Exposition, au moment où le Dôme Central, les Javanaises, la tour Eiffel et le théâtre annamite attiraient la foule à l'immense Kermesse du Champ de Mars, qu'eut lieu à Paris, dans un petit théâtre de Montmartre voué à l'opérette, le congrès socialiste qui décida la manifestation annuelle internationale du 1er mai.

Pourquoi choisit-on cette date poétique et souriante, qui éveille des idées de jeunesse ensoleillée, de renouveau fleuri et d'amour, plutôt que la noire songerie des redoutables problèmes sociaux?

Les journaux de l'époque racontent que les orateurs influents du congrès — Cipriani, Guesde ou Malon — voulaient que la manifestation eût lieu à quelque date rappelant un anniversaire révolutionnaire, comme le 18 mars.

Lorsqu'un jeune délégué se leva, élégant et coquet, avec sa boutonnière où fleurissaient des violettes, et proposa le 1er mai. Il dit que mai étant l'époque où la nature entière frémit d'espérance, où les germes des choses s'épanouissent en fleurs qui sont de sûres promesses, il convenait de choisir le premier jour de ce beau mois, pour assigner une date à la manifestation où le peuple voulait affirmer sou espoir grandissant et fécond.

Les doctrinaires qui étaient là sourirent un peu de ces divagations poétiques, mais on vota tout de même, sans y attacher d'importance, d'autant plus que personne ne prévoyait ce que deviendrait plus tard le « Premier Mai ».

Telle fut l'origine de cette journée qui, depuis, préoccupe annuellement le monde entier, aux alentours de Pâques fleuries.

L'an passé, ce fut un jour d'inquiétude, d'agitation et de deuil. Les branches d'aubépine, que portaient les jeunes filles de Fourmies, virent leur immaculée blancheur rougie de sang — tandis que les meneur, les bandits par qui cette foule inconsciente était poussée au-devant des fusils Lebel, vidaient paisiblement leur chope au cabaret, en songeant aux candidatures que devait enfanter à leur profit ce conflit fratricide.

Cette année rien. Une bise aiguë, une petite pluie glaciale et pénétrante, les magasins fermés, peu de monde dans les rues sauf aux abords des sections de vote, la cité ayant un aspect endormi et morose, la police et les manifestants nulle part. Tel a été à Lyon, et dans toute la France, le froid bilan de cette journée dont le retour n'était pas attendu sans quelque angoisse.

Nous y avons perdu, nous autres journalistes et chroniqueurs. Le 1er mai ne nous apporte pas — en 1892 comme en 1891 — de thèmes copieux et impressionnants pour pondre de la « copie ». Mais cela vaut mieux. Ne regrettons point les articles à grand fracas et les tirages exceptionnels. Le coeur de tout bon Français saigne encore aux cruel souvenirs que des politiciens peu scrupuleux cherchent à réveiller. Infâme réclame que celle-là ! Il faut pourtant songer tout bas au drame de Fourmies. Il faut y songer, parce que ceux qui travaillent et qui souffrent ont droit à obtenir chaque jour plus de liberté, de bien être et de justice !

La cour d'assises de Valence vient de juger un extraordinaire aventurier, en la personne du prussien Hadelt, à la fois trappiste, voleur et assassin.

Le meurtrier du père Ildefonse opérait particulièrement au sein des monastères. C'était sa spécialité de s'introduire dans les couvents, non pas pour y jouer les Mousquetaires — mais les escrocs. Avec une robe de bure, une tonsure sur le crâne, une attitude pieusement confite en dévotion, le gaillard s'introduisait à son gré chez les trappistes, les bénédictins, les lazaristes. ou les chartreux. Toute la moinerie y a passé !

Une fois dans la place, tout en édifiant les bons pères par sa ferveur, Hadelt s'enquérait du coffre-fort et, un beau jour, levait la sandale en filant avec l'argent de la communauté — sans doute pour rappeler aux religieux que les biens temporels ne doivent pas compter pour des hommes vraiment saints.

C'est ainsi que pendant plus de vingt ans cet émule des héros imaginaires de Ponson du Terrail a exploité les couvents d'Allemagne, de Suisse, d'Autriche, de France et même de Bosnie !

La dernière incarnation de ce Rocambole en robe de moine a eu lieu au monastère. d'Aiguebelle, dans la Drôme, où il était trappiste, sous le nom de frère Eugène. Très proprement, très canoniquement, le frère Eugène a étranglé le père Ildefonse, trésorier de la maison, et étouffé son magot.

Si les gendarmes et la cour d'assises n'avaient pas fâcheusement interrompu le cours de cette belle carrière, Hadelt eût continué son voyage pittoresque à travers le monde des couvents, et sans doute, sur le déclin de sa vie, las de tant d'aventures, il se fût retiré dans quelque ermitage, où sa piété lui eût valu la gloire suprême de la canonisation.

Hélas ! à quoi tiennent les destinées !

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