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Causerie

Encore un duel militaire qui vient d'avoir une issue fatale! Un tout jeune homme, un maréchal des logis de la caserne Dupleix, à Paris, a été forcé, de par les règlements militaires, de se battre en duel avec un de ses collègues, à la suite d'une discussion assez vive sur un sujet futile. Il a reçu, en pleine poitrine, un coup de pointe qui lui a perforé le poumon et il est mort.

Mort tristement, frappé par un camarade qui n'avait contre lui ni haine ni colère! Ce sang jeune et généreux a inutilement rougi le tan qui tapisse le sol d'un manège au lieu de se répandre pour la patrie, au lieu d'être gardé pour les grandes luttes de l'avenir, pour la défense et le triomphe du drapeau sur les champs de bataille !

Ils ne sont malheureusement pas rares les duels imposés au nom de l'honneur militaire, qui finissent de cette façon douloureuse.

Je me souviens d'avoir assisté, il y a quelque douze ans, à un drame pareil, et j'en ai gardé le souvenir poignant et vivace. C’était dans un régiment de cavalerie caserné à Dijon. Il y avait dans ma chambrée deux Lorrains du même village, braves soldats de la « classe », qui s'aimaient comme des frères et ne se quittaient jamais. On disait qu'une fois rentrés au pays, dans six mois, ils devaient épouser la soeur l'un de l'autre. Tout était commun entre eux, le prêt, la gamelle, le bon de tabac et aussi les modestes mandats-poste, envoyés de loin en loin par les « vieux »...

Un dimanche de juin, nos deux amis rentrèrent le soir au quartier, après avoir joyeusement fêté une vogue des environs de Dijon. Tout le long du jour, par la chaleur et le soleil, ils avaient dansé et chanté à plein gosier, et aussi bu à plein verre ce joli bourgogne blanc de la banlieue dijonnaise, d'une saveur si franche et si attirante, mais qui est dangereux pour les jeunes fêtes.

Ce furent les fumées de ce diable de petit vin qui causèrent tout le mal. Une discussion bête surgit entre eux, et v'lan ! tout d'un coup on échangea des giffles. Passait l'adjudant. C'était un vieux brave, un de ces durs-à-cuire à cheval sur le règlement. D'après son rapport motivé, on obligea nos Lorrains à descendre sur le pré. L'un et l'autre avaient du coeur : ils obéirent, sans résistance. Et avant de quitter la chambrée, où nous étions tous à leur serrer la main, ils s'embrassèrent fraternellement.

Dix minutes après l'un des deux était mort. Un coup malheureux de son ami lui avait tranché la carotide. Et le soir, à l'heure de la soupe, on entendit une détonation derrière le magasin à fourrages. C'était le survivant qui venait de se brûler la cervelle....

Je suis aussi respectueux que qui que ce soit de la discipline et de l'honneur militaire. Pourtant je voudrais la révision des règlements qui entraînent de tels malheurs. Le duel obligatoire devrait être banni de l'armée. Qu'on fourre impitoyablement au bloc les turbulents qui se livrent entre eux à des voies de fait; qu'on les laisse se battre en duel si le coeur leur en dit, rien de mieux.

Mais si la querelle est insignifiante au fond, et si les adversaires n'éprouvent pas le besoin de se tirer du sang, de grâce, qu'on leur permette alors de ne pas s'entr'égorger ! Nos soldats ont mieux à faire qu'à gaspiller leur vie pour obéir à des règlements surannés, — et nous savons tous qu'il se prépare pour eux, dans un avenir qui chaque jour se rapproche, de plus utiles et plus glorieux sacrifices !

Le dessinateur Grévin est mort la semaine passée. Depuis quelques années déjà il ne produisait plus. Mais il laisse derrière lui un « type » rendu célèbre et fixé par son crayon. C'est un Grévin ! , dit-on souvent en parlant de certaines petites femmes à la silhouette ultra-moderne. Et il n'est pas besoin de feuilleter les vieilles collections du Journal amusant pour retrouver les traits caractéristiques de ces croquis tout à la gloire de la Parisienne. Sans effort de mémoire, chacun revoit lotit de suite, dans l'album de son souvenir, le minois chiffonné, les frisons provocants, le nez fripon, les petits pieds grands comme ça, l'énorme pouff et les contours serpentins — tracés d'une ligue nette — que Grévin donnait aux femmes nées de sa fantaisie. Le tout sans grande expression, sentant le coquet précieux et le convenu, mais, dans l'ensemble, gai, froufroutant et capiteux.

Exquises souvent, les légendes que l'artiste mettait au-dessous de ses dessins. Sans avoir la profondeur digne de Balzac des légendes de Gavarni, celles de Grévin cachent quelquefois, dans leur grâce mousseuse et spirituelle, de suggestives pensées. Par exemple, cette réflexion d'une vieille maîtresse : Il y a quinze jours que Paul est marié, et il n'est pas encore venu me voir... Serait-il heureux en ménage ?

Ailleurs, Grévin met en présence une jeune et désirable cocotte et son amant en titre, — un vieux respectable ! — qui se plaint de l'argent qu'elle lui fait dépenser : Je suis jeune, répond la belle fille, vous êtes vieux ; je suis jolie : vous êtes laid ; on me trouve quelquefois spirituelle : vous n'êtes jamais drôle. De plus, vous m'aimez et je ne vous aime pas. Voyons, mon bon, osez donc dire que je vous coûte cher !!

Bien nature aussi; ce mot d'une ingénue jouant au billard avec un jeune homme : Si vous voulez, mon cousin, nous appellerons, cela un manche ! C'est plus convenable.

Dans cet art aimable, où il excella pendant quinze ans, Grévin ne laisse pas de successeurs. Les humoristes du crayon qui tiennent aujourd'hui sa place ont un parti pris de réalisme bas et malpropre, qui choque quand il ne dégoûte point. Je préfère, pour ma part, les poupées de Grévin, artificielles sans doute mais jolies et pimpantes, aux ignobles et lugubres filles que Forain nous retrace d'une plume attristante.

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