Causerie
Le Conseil municipal de Lyon a voté récemment la création, à Lyon, d'un four crématoire. Il faut applaudir à cette décision. Le retour au procédé antique de l'incinération est en effet un progrès.
Je souhaite que vous et moi nous ayons à nous préoccuper le plus tard possible de la façon dont auront lieu nos funérailles.
Mais, nous sommes tous mortels, hélas, et lorsqu'il nous arrivera quelque chose d'humain comme disaient les anciens, c'est-à- dire quand nous passerons de vie à trépas, il n'est pas indifférent de savoir ce que deviendront nos dépouilles. L'inhumation me paraît une coutume barbare et répugnante. L'idée que les chers morts dont nous gardons tendrement le souvenir devront être en proie au hideux travail de la décomposition, qu'ils seront travaillés par les vers, ces noirs compagnons sans oreilles et sans yeux, suivant la saisissante expression de Baudelaire que ces défunts tant aimés deviendront, avant d'être squelettes, un amas informe « qui n'a de nom dans aucune langue », est atroce et insupportable.
Il y a autre chose de plus affreux encore : c'est qu'on peut être enterré vif. Cette pensée seule fait frissonner et quand on songe à la fréquence relative des cas de léthargie, quand on considère la façon rudimentaire dont la vérification des décès est organisée dans les campagnes, les imaginations les plus froides sont saisies d'un indicible effroi...
La crémation écarte tous ces cauchemars. Les cendres des morts, c'est-à-dire ce qui reste de leur corps après l'épreuve purifiante du feu, sont recueillies pieusement en des urnes funéraires, qui gardent, en quelque sorte, dans la continuité des âges, l'essence même de ce que furent les vivants. Pas de danger non plus de subir ce sort épouvantable : se réveiller dans le tombeau !
Au point de vue de l'hygiène l'avantage est encore plus évident. Quelle source de contagions, quelle fabrique de microbes, que ces milliers de cadavres qui forment aux grandes villes comme une funèbre ceinture !
Nos édiles ont donc bien fait de voter ce qu'ils appellent en leur langage administratif un édicule crématoire. Toutes les grandes ville d'Italie en sont pourvues, Paris en a un depuis plusieurs années. Lyon se décide à suivre leur exemple et c'est tant mieux. Sans être comme le poète des Fleurs du mal qui voyait venir la mort d'un coeur libre et joyeux, je sais beaucoup de gens qui l'envisageront avec moins de déplaisir en songeant qu'une suprême liberté leur reste : celle de soustraire leurs corps à la pourriture.
Certes, voilà un sujet macabre. L'actualité m'oblige maintenant à en traiter un autre, qui ne l'est pas moins, et c'est dans les comptes rendus du Congrès de chirurgie que nous le trouvons.
On parlait dans cette docte assemblée des opérations abdominales, et, à ce propos, les plus étranges révélations se sont fait jour. Un chirurgien est venu raconter qu'après avoir ouvert le ventre à son malade, et opéré la tumeur, il avait oublié un paquet de charpie dans la cavité et recousu la peau par-dessus. Un autre a avoué avoir omis une éponge dans les mêmes conditions. Enfin, un troisième est venu confesser qu'il y avait laissé une pince. Naturellement, chacun des patients ainsi opérés mourut, quelque temps après, d'une péritonite...
Naturellement aussi la presse et l'opinion se sont émues de ces faits monstrueux. On savait bien que certains grands chirurgiens d'aujourd'hui se préoccupent surtout de tailler et de couper avec maestria, de faire élégamment une opération difficile, reléguant au second plan le souci de la vie du malade. Mais on ne se doutait point cependant de l'indifférence coupable et inouïe que dénotent les communications faites au congrès de chirurgie.
Aussi le concert d'indignation fut-il unanime, et M. Emile Gauthier s'en est fait dans le Figaro, l'interprète convaincu et compétent, il s'est trouvé pourtant un journaliste lyonnais pour critiquer comme « injustes » les appréciations de notre distingué confrère. Ce journaliste, il est vrai, est lui-même docteur, voire chirurgien. Il manie à la fois la plume et le scalpel. Je ne sais s'il a jamais égaré son instrument dans l'abdomen d'un de ses clients, mais on pourrait le croire à voir l'indulgence qu'il manifeste pour de tels forfaits. On nous permettra donc de récuser son témoignage. Vous êtes orfèvre, monsieur Josse !
Non, l'opinion et les journaux n'ont pas tort de stigmatiser les chirurgiens dont on a parlé au Congrès. Si ces messieurs oublient dans le ventre ouvert de leurs malades leurs mouchoirs et leurs pinces, ils finiront aussi par y laisser leur pipe. Après le décès inévitable du malheureux, dont l'intestin grêle où le côlon est ainsi transformé en vide-poche, il ne faut pas qu'on se contente de dire à l'autopsie : Tiens, c'est très curieux!
. Ces choses-là doivent se payer et fort cher. C'est le seul moyen d'en empêcher le retour. Une bonne condamnation pour homicide par imprudence, et les chirurgiens de cet acabit ils ne sont pas nombreux, espérons-le ! y regarderont à deux fois avant de faire si bon marché delà vie humaine.
Mon illusion se dissipe,Car je vois que vous me trompiez ;Vous devez être une tulipeAyant des oignons à vos pieds !





