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Causerie

Tout le monde connaît M. S…, cet Américain fabricant de machines à coudre, qui faisait en son temps une réclame aussi formidable que celle qui s'étale sous nos yeux en faveur de certain cacao. M. S… avait gagné une fortune colossale en vendant son outil à crédit à Jenny l'ouvrière, et comme tout bon Yankee qui se respecte il a tenu à honneur de donner sa fille et ses dollars à un marquis français.

Car c'est là le chic suprême chez les archi-millionnaires de la 5eme Avenue. On exploite avec âpreté des mines de pétrole ; on construit frénétiquement d'invraisemblables chemins de fer, homicides aux voyageurs ; on élève des nègres ou des cochons ; on scalpe des Indiens et on spécule sur les guanos ; — et, après une vie accidentée, tout entière consacrée à ces labours inélégants mais productifs, nos chercheurs d'or débarquent sur le boulevard avec leur fille et leurs banknotes, en quête d'un gendre très noble, très inutile, très mondain et très décavé. Cela flatte leur vanité de négriers parvenus de se démontrer à eux-mêmes qu'ils sont bien décidément les rois de ce monde, puisqu'ils peuvent tout acheter avec de bons chèques, tout, même la situation mondaine, même la noblesse et les merlettes héraldiques des plus fiers blasons.

Mais ces mariages-là, qui caractérisent si bien le temps présent, vaniteux et jouisseur, ne réussissent pas toujours. La plupart finissent par le divorce et la cassation en cour de Rome, et c'est précisément ce qui vient d'arriver à Mlle S… dont le mariage avait cimenté l'union d'un noble champ de gueules avec la machine à coudre. Les journaux mondains en parlaient longuement, ces jours derniers, en faisant remarquer que la décision du Pape, semblable à l'amnistie en matière politique, efface tout le passé et supprime jusqu'au souvenir d'un mariage qui, désormais, est considéré comme n'ayant jamais existé.

A tel point qu'au lendemain de l'annulation religieuse, les salons aristocratiques rouvrent leurs portes, qui s'étaient fermées sévèrement après le divorce, à l'ex-épouse libérée. Le monde considère que le Saint Père « lui a refait une virginité ».

La jeune femme redevient en effet jeune fille pour les gens bien pensants qui tous, appellent respectueusement cette ancienne Madame : Mademoiselle ! Et les incrédules prétendent que la foi ne fait plus de miracles !

Un autre miracle presqu'aussi surprenant,- c'est la résurrection des bals de l'Opéra. En ces dernières années l'institution était tout à fait tombée et les « jeunes » se demandaient comment cette mascarade, bête et triste à mourir, avait pu tant réjouir nos anciens, exciter la verve d'un Gavarni, et demeurer, pendant de longues années, si populaire.

Pour ma part, je n'ai jamais pu assister à un de ces bals sans ennui. C'étaient de vraies fêtes de croquemorts, sans gaîté, sans jeunesse et sans esprit, sans belles filles et sans joyeux viveurs. On se fût cru entre abonnés de la Revue des Deux Mondes, tant c'était monotone et gourmé. Il a suffi d'une idée heureuse de MM. Bertrand et Campo-Casso — décidément ils en ont beaucoup! — pour changer tout cela.

Les batailles de fleurs et de confetti ont fait de ces soirées lugubres des réunions animées et brillantes comme autrefois. On se livre des assauts gracieux où les roses, les jacinthes et les tubéreuses servent d'armes offensives et défensives, et des combats plus rudes où l'on s'enfarine à coups de confetti. Et c'est aussi gai que les plus belles fêtes carnavalesques de Nice.

Voilà un succès dont les organisateurs du bal des Etudiants feront bien de s'inspirer. Les batailles de fleurs et de confetti ajouteraient encore à l'entrain de cette superbe et joyeuse soirée, si populaire à Lyon.

Depuis que les Célestins jouent la Famille Pont-Biquet, beaucoup de sourds de notre bonne ville de Lyon ont des allures satisfaites qui ne laissent pas que d'intriguer ceux qui les approchent. Nous sommes en mesure de fournir l'explication de ce mystère. On sait que dans la pièce de Bisson, M. Pont-Biquet est atteint d'un singulier tic : l'amour lui affecte le tympan. Tous les samedis, jour consacré par lui aux épanchements conjugaux, le brave homme est atteint d'une surdité temporaire. C'est en quelque sorte le baromètre de sa vaillance, et madame Pont-Biquet le consulte avec un soin jaloux.

Certains sourds lyonnais, qui ne sont pas bêtes, comme on le voit, ont donc imaginé de mettre à profit leur infirmité pour se tailler une réputation de verts-galants. Quand on leur serre la main, en demandant comment va la santé, ils montrent leurs oreilles pour indiquer qu'ils n'entendent pas, et on les voit glisser des regards en coulisse vers leurs épouses, en disant d'un air vainqueur : Comme Pont-Biquet, mon ami !

Ce qui prouve que la comédie, même vaudevillesque, exerce sur les moeurs une salutaire influence.

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