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Causerie

A la grande joie des amateurs de mélos et des passionnés pour les grandes causes criminelles, Lyon va peut-être se trouver mêlé, incidemment tout au moins, au drame du boulevard du Temple. Notre ville jouissait déjà de l'honneur insigne d'avoir servi de théâtre au dernier acte de l'affaire Gouffé. C'est à Lyon, on s'en souvient, que la sémillante Gabrielle Bompard et feu Eyraud transportèrent, au fond d'une malle, le cadavre du trop galant huissier, et c'est dans la banlieue de Lyon qu'ils essayèrent de faire disparaître ce macabre excédent de bagages.

Le couteau et le gant qui ont été abandonnés par l'assassin de Mme Dellard, au numéro 42 du boulevard du Temple, vont-ils jouer dans « ce beau crime » comme disent les dilettanti, le rôle de la malle de Millery, en servant d'indices conducteurs pour arriver jusqu'au coupable ? C'est ce que la police est en train de se demander à grand renfort de minutieuses enquêtes.

Il parait déjà acquis que couteau et gant ont dû être achetés en même temps à Lyon. Si les marchands chez lesquels ces emplettes ont été faites en ont quelque souvenir, cela peut ne pas être indifférent. Je reconnais que c'est là une chance bien problématique. Mais qui sait ? Il a suffi quelquefois de moindres trouvailles pour amener la solution des énigmes criminelles les plus obscures.

Un des reporters du Progrès nous a apporté hier un couteau semblable à celui dont s'est servi l'assassin. C'est un atroce surin de trente-neuf sous : une simple lame triangulaire, large et plate, fichée dans un manche en bois noir. La pointe est un peu flexible, et c'est sans doute à cette circonstance que la bonne de Mme Dellard a dû de ne pas avoir été égorgée d'un seul coup, comme sa maîtresse.

C'est égal, l'assassin qui s'est servi de la façon que l'on sait de ce coutelas de bazar, est un gaillard qui vaut, par l'audace et le sang-froid, les grands criminels des romans de Gaboriau et de Montépin. La police aura-t-elle des limiers comme ceux dont parlent nos feuilletonistes? C'est à M. Goron de nous donner la réponse.

La Fédération des sociétés féminines vient de tenir à Paris une réunion où des résolutions de la plus haute importance ont été prises. Ces dames de la Fédération sont pour l'émancipation de la femme, et cette œuvre d'indépendance doit commencer, selon elles, par la réforme du costume. Le premier article de leur programme c'est le droit de porter culotte, non pas seulement au figuré comme le font déjà la très grande majorité de nos épouses, — mais en réalité et sous les espèces disgracieuses d'un vrai pantalon. La Fédération a donc envoyé une délégation à la Préfecture de police, pour savoir si le port du costume masculin n'était pas interdit au sexe laiteux. Là, un fonctionnaire très aimable a répondu aux déléguées qu'aucune loi ne défendait aux femmes de s'habiller en homme, mais qu'il fallait toujours prévoir le cas où certaines protubérances, particulières aux dames, sailliraient avec évidence sous le pantalon et la jacquette, et causeraient ainsi dans la rue un scandale qui obligerait les agents à intervenir.

La Fédération dut alors se contenter d'une révolution moins considérable, mais qui ne laisse pas que d'être attentatoire aux traditions les mieux établies du costume féminin. Les fédérées ont juré solennellement de ne plus mettre de souliers à talons hauts, de ne revêtir que des jupes courtes, de proscrire les formes de chapeaux incommodes et enfin de renoncer au corset et aux gloires du décolletage...

Voilà qui est grave. Depuis le jour où les femmes d'Athènes se mirent en grève contre leurs maris, si j'en crois Aristophane, — pour conquérir certains droits politiques— rien d'aussi subversif ne s'est vu dans l'histoire. Mais les femmes-apôtres de la Fédération trouveront-elles des catéchumènes, et elles-mêmes sauront-elles tenir leur redoutable serment ? Je me permets d'en douter. Les jupes courtes, cela irait encore pour celles qui ont la jambe bien faite, — mais pour les autres ? Il en va de même en ce qui touche le corset. Les poitrines audacieuses et défiant le ciel, — telle Diane chasseresse ! — les tailles fines pourraient aisément s'en passer : mais combien y en a-t-il et pour combien de temps ? Quant à exiger des filles d'Eve qu'elles renoncent aux talons Louis XV, qui leur font un pied de duchesse ; aux chapeaux extravagants, qui enjolivent leur frimousse; aux corsages échancrés qui montrent la nacre et le satin des épaules et la splendeur troublante de la gorge, c'est là un sacrifice au-dessus de leurs forces. Elles y perdraient trop et nous aussi !

Il me paraît donc que les résolutions de cette ligne vestimentaire sont destinées à demeurer lettres mortes. Mais, puisque je viens de parler « corsets », me sera-t-il permis de demander un renseignement à mes lectrices? J'ai vu récemment, dans une rue aboutissant à Bellecour, la pancarte suivante, accrochée au magasin d'un corsetier : Corsets contentifs avec tuteurs. Qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ?

En fait de petits jeux littéraires, la mode est toujours aux épitaphes. Certains journaux en ont même organisé des concours, lui voici deux que nous recommandons aux amateurs :

1° Celle de Buloz, directeur de la Revue des Deux Mondes, par Henri Mürger :

Quand Buloz au tombeau sera prêt à descendre,Rien ne saurait le retarder ;Il n'aura qu'un oeil à fermerEt pas d'esprit à rendre.

2° Celle d’un jeune propriétaire, d'un grand bouillon qui faillit se tuer sur le paillasson de Mlle Cora Pearl :

Ci-gît Duval : il est dans ce tombeau ;Il vécut par le boeuf et mourut par le veau !

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