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Causerie

C’est toujours une lecture réconfortante et saine que celle du rapport académique sur les prix de vertu. On a beau ne pas aimer le style douceâtre et filandreux de M. Cherbuliez : on le trouve intéressant quand il raconte les traits de dévouement, de courage ou de bienfaisance auxquels l'Académie française accorde des récompenses.

Car ils sont tout simplement admirables ces humides héros, admirables par la durée du sacrifice et la continuité du dévouement.

Comment, par exemple, ne pas saluer avec respect cette paysanne de l'Indre qui avait vinght-deux ans lorsque sa mère devint paralytique; elle en a aujourd'hui cinquante-cinq et depuis trente-trois ans, tout en gagnant par son travail le pain de chaque jour, elle soigne l'incurable avec la plus touchante saule piété filiale.

Et François Bisson, ce pauvre tâcheron du Calvados, qui, sans autres ressources que le produit de ses journées, entretient son vieux père aveugle et infirme, une soeur abandonnée par son mari, plus trois nièces épileptiques dont l'une a un petit enfant !

Et Marguerite Charpy, ouvrière en soie à Lyon, qui a recueilli et élevé quatre neveux ou nièces, dont elle a fait d'honnêtes travailleurs !

Ah! les braves gens ! Qu'ils aient fait le bien par charité chrétienne ou par une naturelle générosité de sentiments, peu importe ! Leurs vertus modestes honorent l'humanité, - et les classes populaires auxquelles ils appartiennent. C'est en effet dans le peuple que se rencontrent surtout ces grands coeurs. Loin que leur propre misère les rende moins pitoyables aux souffrances d'autrui, il semble, au contraire, que leur compassion en soit accrue. Et l'on voit alors, comme dit le Directeur de l'Académie, « un indigent qui secourt un autre indigent, une pauvreté qui devient la ressource d'une autre pauvreté encore plus dénuée qu'elle même.

Qu'est-ce donc qu'un prix de vertu pour payer ces nobles dévouements? Hélas ! bien peu d'argent et bien peu de gloire...

On a pu lire mardi, dans les journaux, une dépêche annonçant que le sous-préfet et le maire de Dax ont eu un duel à l'épée, à la suite d'un différend d'ordre administratif, et que M. le maire a reçu une blessure.

Ce fait-divers comporte des réflexions de « principe et d'espèce », dirait-on au Palais.

Sans avoir, comme le Lape, un téléphone direct avec le Saint-Esprit, je me permets de n'être point de l'avis du Souverain Pontife sur ta question du duel. Il est certaines situations qui ne peuvent se dénouer que par le combat singulier, ou tout au moins par son simulacre galamment ordonné, comme savent le faire certains témoins prudents autant qu'habiles.

C’est d'ailleurs une chose fort agréable que de se battre quand on en a envie : cela ne fait presque jamais mal, et cela soulage toujours ! Au temps de Louis XIII on se battait pour se divertir. C’était le jeu à la mode, comme le lawn-tenis aujourd'hui. Vous souvenez-vous de la fameuse tirade de Cassé dans Marion Delorme ?

Toujours nombre de duels. Le trois, c'était d'Angennes.Contre Arquien, pour avoir porté du point de Gènes.Lavardin avec Pons s'est rencontré te dix,Pour avoir pris à Pons la femme de Sourdis ;Sourdis avec d'Ailly, pour une du ThéâtreDe Mondori. Le neuf, Nogent avec LachâtrePour avoir mal écrit trois vers de Colletet ;Gorde avec Margaillan, pour l'heure qu'il était ;D’Humière avec Gondi, pour le pas à l'église ;Et puis tous les Brissac, contre tous les Soubise,A propos du pari d'un cheval contre un chien.Enfin, Gaussade avec Latournelle, pour rien,Pour le plaisir. Gaussade a tué Latournelle.

Et Brichanteau répond avec enthousiasme : Heureux Paris ! les duels ont repris de plus belle !

Les deux administrateurs Daxois, qui se sont alignés dimanche, partagent sans doute l'amour de Gassé et de Brichanteau pour les friandises de. la lame. Car, enfin, se battre pour un différend d'ordre administratif ! A première vue cela paraît au moins original. On s'explique difficilement un échange de témoins pour trancher le résultat douteux d'une enquête de commodo ou incommodo, ou pour statuer sur le tracé d'un chemin vicinal. A moins pourtant que ce ne soit un procédé nouveau pour venir à bout des lenteurs administratives ! Mais si les duels de ce genre se multiplient, je plains ces pauvres maires. Comme leur collègue de Dax ils peuvent s'attendre à « écoper » : il y a tant d'anciens journalistes parmi les sous-préfets !

Contrairement à notre Opéra lyonnais, qui continue à « faire plus que le maximum » comme dirait M. Koning, la plupart des théâtres parisiens sont dans une période de guigne. Au Gymnase comme aux Nouveautés, à la Porte Saint-Martin comme aux Variétés et au Palais-Royal, les pièces nouvelles ont fait d'énormes fours. Seule la revue du théâtre Cluny a eu un gros succès, grâce à des trouvailles comiques dont, voici un échantillon : Pour remédier aux procès fait par les grincheux qui n'aiment pas voir leurs noms donnés aux personnages de comédie, les auteurs proposent de remplacer, dans le théâtre de, l'avenir, les noms par des numéros. On aurait ainsi des dialogues de ce genre : Tiens, c'est cet excellent 117 ! Comment vas-tu mon vieux 123 ? As-tu des nouvelles de la duchesse 69? Oui. Malheureusement, sa fille, Mme 1122, est indisposée... etc. Tous mes confrères parisiens déclarent s'être tordus à ce discours, qui n'est pas, je le reconnais, médiocrement bouffon.

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