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Causerie

Il faudra, décidément, que les peintres en arrivent à changer les attributs de l'Amour. On a représenté, jusqu'à présent, le petit Dieu malin avec un arc et des flèches, symbole de ces blessures du coeur qui sont si douces qu'on en voudrait toujours souffrir.

Aujourd'hui nous avons changé tout cela. La série tragique et ininterrompue des crimes passionnels, qui se déroulent presque quotidiennement, montre que l'Amour doit avoir désormais pour accessoires le revolver, la fiole de vitriol et le couteau. Je ne sais si ces objets feront très bonne ligure au milieu des Allégories où des Amours roses essaiment dans les ciels bleus, mais ils seront certainement plus conformes à la réalité présente.

D'ailleurs l'opinion publique s'y habituera facilement. N'est-elle pas déjà accoutumée aux idylles qui finissent en cour d'assises? Et n'accueille-t-elle pas avec la plus souriante indulgence ces étonnants verdicts de jurés, qui trouvent tout naturel que les romans du jour se dénouent par des coups de pistolet ou de surin, ou par des dialogues assaisonnés d'acide sulfurique ?

Il s'est même rencontré, récemment, un jury pour acquitter une aimable jeune fille, convaincue d'avoir attaqué sa soeur à coups de hache pendant son sommeil, dans le but de la couper en morceaux. Il paraît qu'il y avait de la jalousie amoureuse sous roche. Cela a suffi pour que les bons jurés rendissent un verdict d'acquittement.

Quel plaisir dans les fami-illes, comme on chante dans Faust ! On pourra désormais se dépecer entre frères et soeurs sans que la justice puisse y trouver à redire. Distraction charmante, pour les longues soirées d'hiver !

L'Amour fin de siècle ne devient pas seulement, et assez volontiers, assassin ou empoisonneur : on le voit aussi se livrer aux excentricités les plus singulières et s'épanouir sur les « objets » les plus inattendus.

Exemple : la passion coupable, mais irrésistible, que l'homme à la tête de veau vient d'inspirer à une femme mariée. Boudou, c'est le nom du sympathique phénomène, a été engagé récemment par un barnum de Cherbourg, qui se proposait de l'exhiber dans les foires normandes. A peine la tournée était-elle commencée, que l'imprésario crut s'apercevoir que sa femme avait un goût prononcé pour la « tête de veau ». Il se mit aux aguets et bientôt il la surprit caressant amoureusement le museau de son pensionnaire.

L'épouse infidèle reçut aussitôt une formidable raclée. Mais il était trop tard : elle aimait! Le jour même, l'homme à la tête de veau enlevait sa patronne, et, depuis, tous les deux courent la prétentaine en voyage de lune de miel...

Je sais bien que tous les goûts sont dans la nature. Mais aimer ce phénomène velu! Couvrir de baisers cette tête qu'on se représente surtout avec du persil autour, et qui appelle la sauce financière plutôt que les amoureuses effluves !

Rien ne manque plus maintenant au bonheur de, l'homme à la tête de veau. Il a la gloire, puisqu'il est connu du monde entier; il a la fortune, attendu qu'il lui suffit de montrer son faciès pour que l'argent pleuve ; voici enfin qu'il a l'Amour.

Je connais des notaires qui voudraient bien être à sa place!

Tout en France sert de thème à l'esprit et à la gaîté, même le cimetière, et le jour des morts a fourni une occasion récente de rappeler les mots connus faits à propos de la Camarde.

Citons, parmi les épitaphes, celle de la femme de Piron : Ci-gît ma femme. Ah ! qu'elle est bien Pour son repos et pour le mien !

Cette autre, remarquée dans un cimetière de Paris, et gravée aussi par un veuf :

L'Eternel me l'avait donnée,L'Eternel me l'a reprise.Que le nom de l'Eternel soit béni !

Et celle-ci :

La Dame dont voici l'imageSut joindre jusqu'à son trépasA l'honneur de passer pour sageLe plaisir de ne l'être pas.

Les anecdotes sont encore plus abondantes : depuis ce condamné à mort auquel on demandait, une heure avant l'exécution, sa dernière volonté et qui répondit : « Je voudrais apprendre l'anglais ! », — jusqu'à ce pauvre Gil Pérez qui trouvait avantageux d'avoir un pied dans le cercueil, parce que c'était un prétexte pour demander remise de moitié à son cordonnier.

J'ai remarqué surtout la suivante : Deux médecins vont visiter le cimetière. L'un d'eux, ouvrant la porte, invite son confrère à entrer avant lui. Celui-ci accepte de bonne grâce en disant : Je passe le premier par politesse : vous êtes chez vous mon cher confrère !

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