Causerie
Je lisais l'autre jour, dans un récit de voyage, l'évaluation du trésor particulier du shah de Perse. Il est formidablement riche ce souverain asiatique, auquel nous avions eu la naïveté d'offrir, pondant l'Exposition universelle, le vivre, le couvert... et le reste. On dit que ses sujets sont gueux comme les rats de leurs mosquées. Mais ils se consolent, en songeant avec orgueil, que Sa Majesté possède une cassette qui contient pour deux cents million d'objets précieux et inutiles.
Parmi ces bibelots, qui font penser aux fabuleuses descriptions des Mille et une Nuits, on remarque : l'ancienne couronne du royaume de Perse, ornée d'un rubis de la grosseur d'un oeuf de poule ; une ceinture garnie de pierres précieuses pesant neuf kilogrammes; deux fourreaux de sabre valant six millions; une émeraude grosse comme une noix de coco ; une perle énorme évaluée deux millions, etc., etc.
On voit que si jamais le monarque persan est détrôné quel roi est aujourd'hui à l'abri des révolutions ? il pourra, après avoir sauvé la caisse, s'établir joaillier rue de la Paix et installer une vitrine défiant toute concurrence.
L'auteur auquel j'emprunte ces détails ajoute que le Shah n'emporte aucun de ses trésors en voyage. C'est le fait d'un homme prudent : car s'il y a aux environs de Téhéran autant de voleurs que dans la banlieue de Paris ou de Lyon, ils pourraient faire un bon coup en exigeant du Shah rançon. Par contre, Nasser-el-Din se munit toujours, dans ses déplacements, de talismans efficaces, pour ne pas être exposé au triste sort du préfet Barrême. C'est ainsi qu'il porte au cou un collier sacré, ayant la rare propriété de forcer les malfaiteurs à confesser leurs crimes. Voilà qui ferait joliment l'affaire, de la police lyonnaise, qui a toujours la guigne de tomber sur des émules d'Avinain ! Le Shah possède aussi un dé en ambre, tombé du ciel au temps de Mahomet, et qui préserve de toute blessure.
Enfin, un dernier talisman peut rendre invisible, son auguste propriétaire, à la condition formelle de renoncer a toute relation avec le beau sexe. Mais mon voyageur ajoute malicieusement que Sa Majesté n'a pas encore essayé le pouvoir de cette redoutable amulette...
Je comprends que Nasser-el-Din recule devant ce sacrifice, surtout s'il a dans son harem beaucoup d'odalisques aussi appétissantes que Mme Théo, qui nous a mimé récemment, aux Célestins, le suggestif Piston d'Horlense. Quelle adorable petite femme que cette blonde grassouillette! Elle rappelle un peu le type de madame du Barry avec ses formes savoureuses et son teint éblouissant, que les contemporains comparaient à une feuille de rose tombée dans du lait.
Par exemple, elle est un peu bien bécasse comme artiste. Mais elle a le mérite de lever la jambe le mieux du monde, qualité indispensable pour jouer congrûment Ma Cousine, dont le plus gros effet est, comme on sait, un effet de chahut. On voit tout de suite que Mme Théo, tout comme Réjane, a pris des leçons à la forte école de Grille-d'Egout, Nini-Patte-en-1'air et la Môme-Fromage ces étoiles de la chorégraphie fin de siècle.
A ce propos, il me paraît intéressant de faire connaître aux familles dans le mouvement, désireuses d'initier les demoiselles à marier aux mystères de la Terpsichore moderne, qu'il existe, à Paris , des Académies où les maîtres de l'art enseignent le chahut, suivant les purs principes goûtés au Moulin- Rouge. On y apprend le quadrille à la mode du jour, peut-être moins solennel que celui des salons du noble faubourg, mais infiniment plus distingué. La première figure se nomme le port d'armes. Cela consiste à se placer sur une jambe et à tenir l'autre toute droite en l'air. La seconde s'appelle la guitare : jambe droite derrière la tête, le bras gauche tendu en avant. Viennent ensuite le salut militaire, qui permet à la danseuse d'enlever gentiment du bout du pied le chapeau de son cavalier, le grand écart, le brisement debout ou assis, etc., etc.
C'est le port d'armes qui constitue l'exercice indispensable que doit posséder d'abord, et à fond, toute chahuteuse qui se respecte. Or, les statisticiens de l'art nouveau ont constaté que si les femmes du monde apprennent assez facilement le port d'armes, les petites bourgeoises y sont, par contre, tout à fait réfractaires. Mais il paraît démontré que les actrices l'exécutent, après une seule leçon, avec beaucoup de maestria. Pourquoi cette différence d'aptitudes? Toutes les classes de la société française ne seraient donc pas égales devant le chahut? Cruelle, cruelle énigme!
Dans un vieux recueil « d'ana », qui par hasard m'est tombé sous la main, je viens de rencontrer la spirituelle épigramme ci-dessous, signée Alexandre Dumas père :
ÉCRIT SUR UN PORTRAIT DE MÉAULLE (d'Ille-et-Vilaine)Cette image dont j'ai l'ètrenneReprésente Mèaulle au regard incertain.On lit en haut : Ille-et-Vilaine,On devrait dire : Il est vilain.