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Causerie

Allons-nous revenir au temps heureux où les rois épousaient des bergères, à l'époque sentimentale et lointaine où de beaux seigneurs ne dédaignaient pas de prendre pour femme une humble vassale, pour peu qu'ils en fussent amoureux? Je ne sais trop. Aussi bien toutes ces douces et charmantes histoires n'ont peut-être existé que dans l'imagination des poètes Cependant notre fin de siècle vient d'avoir le spectacle d'un de ces romans « romanesques », pour employer le pléonasme à la mode. Le jeune roi de Roumanie, va, dit-on, épouser, au prix de son abdication, une simple demoiselle d'honneur de sa mère, Mlle Vacaresco.

Cette idylle de cour rappelle un peu la passion dont Louis XIV adolescent brûla pour Mlle Mancini. Mais la raison d'Etat fut, chez ce grandiose égoïste qu'on appela plus tard le roi Soleil, victorieuse de l'amour. Tout au contraire, l'héritier du trône de Roumanie a mieux aimé renoncer à sa couronne plutôt qu'à son amie. Il s'est dit que tous les autres plaisirs, y compris celui de gouverner un peuple, ne valent même pas les peines de l'amour, et il a préféré, à son collier de roi, le bras caressant de celle qu'il aime, gentiment passé autour de son cou.

Ce n'est pas qu'on n'ait essayé de tous les moyens pour obtenir qu'il étouffât en lui la voix du coeur. Tout le inonde s'est mis à la traverse de ses projets : ministres, parlement, diplomates se sont ingéniés à séparer ces deux enfants qui s'aimaient d'amour tendre. On a même voulu les brouiller à l'aide d'une intrigue de comédie, par des lettres apocryphes, dans lesquelles le jeune roi et la demoiselle d'honneur se signifiaient mutuellement une rupture définitive. Mais tout a été vain. L'Amour est resté vainqueur et maître. Il a fait un pied de nez aux politiciens, aux ministres, voire aux ambassadeurs de la Triple-Alliance. Et l'héritier présomptif du royaume de Roumanie va céder le sceptre à son frère, pour n'être plus lui-même que le prince Charmant, libre d'aimer et d'être heureux.

Ah ! la délicieuse, poétique et chevaleresque aventure ! Ne trouvez-vous pas que le récit vous en fait monter au coeur comme une bouffée de jeunesse et de printemps ? Elles ne sont donc pas tout à fait mortes, disparues dans la nuit des âges primitifs où le coeur humain n'avait pas encore vieilli, les radieuses illusions chantées par les poètes, et si chères aux belles âmes de vingt ans : il est donc possible de les voir vivantes et réalisées devant nous, même à notre époque affairée, matérielle et sceptique ! Cela fait du bien qu'un exemple éclatant vienne rappeler de temps à autre à une société dont l'intérêt est trop souvent l'unique pôle, qu'ici bas l'argent et l'ambition ne sont pas tout et que le sentiment a, lui aussi, ses revanches et ses triomphes.

Je voudrais qu'un écrivain de race, au talent généreux et vibrant, comme mon cher maître et ami Albert Delpit, fit un roman, de ce frais roman vécu — qui n'est en somme que la paraphrase de cette opinion de poète : ici bas, tout est vain, hors le besoin d'aimer...

Un roman d'un autre genre, mais point banal non plus, est celui du pseudo-marquis d'Alba, l'escroc de haute marque actuellement sous les verrous de la prison Saint-Paul. En voilà un gaillard qui s'entendait à la mise en scène aristocratique, à la poudre aux yeux élégante qui séduisent si bien le monde d'aujourd'hui, dont le rastaquouère est le vrai roi.

Il a suffi à cet aventurier d'avoir du toupet et un peu d'élégance, de s'être fabriqué des noms et des titres de fantaisies, avec une devise où Dieu et le roi s'étalent sur champ de gueules, pour que tous les snobs de la boutique et des salons se soient faits ses entreteneurs et ses amis.

Les notables commerçants, qui pour rien au monde ne consentiraient du crédit à un brave homme d'aspect modeste, lui ont ouvert toutes grandes, pendant des années, leurs caisses et leurs vitrines, sur la seule garantie de son nom sonore, de sa belle mine et de la couronne peinte sur sa voiture. M. Dimanche n'a-t-il pas de tout temps été floué par don Juan ?

Quant aux milieux aristocratiques — faubourg Saint-Germain ou société dite de Bellecour — quant à ce monde fossile et frivole où l'on se coifferait encore, si l'on osait, en ailes de pigeons, et qui se montre toujours si hautain et si sottement dédaigneux vis-à-vis des gens qui ne sont pas « nés », dont l'origine n'est pas du bel air, notre marquis y était reçu avec tous les égards dus au propre fils d'un grand d'Espagne, conduisant les garden-partys et les cotillons, flirtant avec les jeune s filles, et « tapant » dans les grands prix les papas et les mamans.

Et si cette fleur de gentilhomme ne s'était pas fait pincer bêtement à forcer un coffre-fort, à l'exemple de don Carlos pillant les diligences, si le bon gendarme ne fût pas intervenu pour interrompre fâcheusement le cours de sa haute vie, le marquis d'Alba, comte de Pereira , baron Martens, vicomte y Barrajo serait encore adoré des bijoutiers, des actrices et des douairières.

Ces histoires-là sont toujours drôles. Car je ne saurais plaindre ni les marchands escroqués, ni les châtelains ou les châtelaines dépouillés et compromis par l'élégant pensionnaire de Saint-Paul. Leurs mésaventures prouvent une fois de plus que nobles et marchands ont pour les aventuriers le même goût malheureux.

De tout temps cela a été ainsi. Les uns sont dupes du fétichisme bête qu'inspire encore à certains bourgeois un nom aristocratique et les autres sont victimes de leur vanité de caste. Vraiment, la leçon est bonne et pour un peu je la trouverais morale !

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