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Causerie

Les maires en font de belles depuis quelque temps ! C'est une vraie série de cocasseries administratives, d'histoires prud'hommesques ou risibles, d'arrêtés tintamarresques perpétrés par des magistrats municipaux qui semblent s'être donné la consigne de fournir un nouvel aliment à la gaîté française.

Nous avons eu d'abord, l'ukase stupéfiant de ce maire de la région lyonnaise — dont le nom euphonique a dû être pieusement, recueilli par Armand Silvestre — qui interdit aux jeunes filles de sa commune de mettre robes blanches et ceintures bleues, sous peine de la simple police. Comment, M. le maire ! vous n'aimez pas les toilettes claires chez vos administrées : C'est si joli pourtant, les jupes couleur de neige et les rubans couleur d'azur, quand il fait soleil et que la campagne est verte !

Et puis, quand bien même cela serait laid, je ne sache pas qu'il existe, une loi pour permettre à un maire de régenter les goûts et les couleurs. Cela était bon au moyen âge, où le tissu, la nuance et la forme des vêlements étaient réglementés et différents suivant qu'on était noble ou vilain. Mais à notre époque, monsieur Chion-Ducollet, y songez-vous? Et cependant, vous vous dites libéral. Que serait-ce, mon Dieu! si vous ne l’étiez pas?

Ah ! comme Paul-Louis Courier aurait écrit là-dessus de délicieuses choses el comme il vous aurait décoché une pétition pour les villageoises qu'on empêche de s'habiller de blanc !

Un autre maire que l'Europe pont nous envier c'est M. Coussin — j'aime mieux ce nom-là, il repose! — satrape de Roussy (Cantal). Ce bizarre cantaloup veut à toute force changer le nom de sa commune. Elle s'appelle Roussy : il a décidé que désormais elle s'appellerait Vezel. Le conseil général et le Conseil D’Etat ont beau résister à ce caprice singulier, rien n'y fait. M. Coussin répond en parodiant ce mot de Louis XIV « La commune c'est moi ! » et il maintient imperturbablement son arrêté de baptême illégal.

Mais le plus étonnant de la série c'est encore le maire de Saint-Hilaire-la- Palud, près Niort, qui vient de faire afficher l'avis suivant : « Il est interdit à tout voyageur traversant le territoire de la commune de Saint-Hilaire-la-Pallud de séjourner ailleurs que sur le champ de foire aux cochons ».

Vraiment, on n'est pas plus aimable!

La police a fini par avoir raison des cohortes de fous et de badauds que ce toqué de Laur envoyait manifester place de l'Opéra. Mais si Laur est un agité, c'est aussi un prudent. Il a délégué ses amis pour recevoir les coups et les bousculades des agents ; il les a laissés conduire au poste et encaisser les mois de prison, tandis que lui-même, soucieux de leur conserver un chef, restait tranquillement à son domicile pour digérer son dîner. C'est là tout le jeu des professeurs de manifestations et des émeutiers traditionnels : organiser le tapage et le désordre du fond de la coulisse, garder pour eux-mêmes la réclame, le bruit et le profit, — mais pour ce qui est des horions les réserver scrupuleusement aux bons jobards, assez naïfs pour payer de leur personne.

Ces gens-là sont comme le Matamore ; à tout propos on les voit frapper sur le fourreau de l'épée, mais quand il s'agit de la mettre au vent et de s'aligner... plus personne. Un confrère ingénieux écrivait il y a quelques jours qu'il fallait enrégimenter tous ces héros de l'asphalte qui crient : « A Berlin ! » sur la place de l'Opéra et en former un bataillon sacré, pour recevoir en cas de guerre les premiers coups de feu, avec Laur et Boudeau comme colonels. La solution est élégante, mais elle n'est point pratique. A quoi bon créer une phalange de francs-fileurs ?

La troisième bataille livrée par les wagnérophobes a été signalée par un incident qui mérite de passer à la postérité.

Vers sept heures et demie, un monsieur d'un âge déjà respectable, vêtu comme un bourgeois cossu, traverse la place de l'Opéra et s'arrête au milieu, faisant face au théâtre. Il ôte son gibus, prend une noble attitude et commence d'une voix retentissante le grand air du Chalet

Il faut me céder ta maîtresseEt renoncer a son amour…

La foule s'attroupe, un officier de paix intervient et le vieux monsieur, se tournant vers le magistrat, entonne furieusement le second couplet. On l'empoigne et on l'entraîne vers le poste. Mais lui, parlant cette fois au peuple, s'écrie avec majesté : « Et maintenant, j'ai fait mon devoir ! »

Je ne sais si vous pensez comme moi, mais cet honnête bourgeois me semble beau comme l'antique !

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