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Causerie

Il parait que la patrie est en danger si les pures amours d’Elsa Et de Lohengrin sont représentés à l’Opéra. Tel est du moins Le bruit que font courir les mitrons et les braillards de la Ligue des Patriotes, C'est-à-dire cette foule inepte et bêtement chauvine qui a pris pour drapeau la vaste redingote de Monsieur Déroulède.

Vous connaissez l'antienne. Elle a déjà servi à plusieurs générations d’imbéciles : il faut venger sur Wagner et ses oeuvres les défaites de la France. Ah! que voilà une revanche digne de la noble blessée !

Quand la Terreur de Neuilly, le Rempart de Courbevoie, la Betterave de la Villette et les autres camelots enrôlés par Laur et Boudeau - ces fous aussi bêtes que dangereux- auront sifflé et hué le Lohengrin, nous pourrons regarder la colonne et nous dire fiers d'être Français... Ces diplomates de « pieds-humides » fourrent aussi l’alliance russe en cette affaire. Le tsar aurait confié à Boudeau entre deux verres de kümmel, Que tout était rompu si Lohengrin triomphait Dans l’immeuble de M. Garnier

Et il n'en faut pas plus pour créer une agitation qui nous a rendus ridicules aux yeux de l'Europe! On a beau faire remarquer aux nuirons en délire que Meyerbeer était lui aussi Allemand, voire Prussien de Berlin, que Weber a écrit une cantate enthousiaste en l'honneur de Waterloo, que Lohengrin est joué et applaudi dans le monde entier, même à Moscou et à Saint-Pétersbourg- tout est inutile et les meilleures raisons du monde ne sauraient modifier chez les paladins à la haute casquette leur ferme propos de faire du boucan...

Tout cela prouve que les Parisiens n'ont pas toujours autant d'esprit qu'ils le prétendent. Lyon, Bordeaux, Rouen et Angers, où l'on a représenté Lohengrin l'an passé, n'ont pas donné le spectacle grotesque que vient d'offrir toute une partie de la population parisienne. Nous ne sommes que des provinciaux mais jamais Laur, Boudeau et la « Betterave de Belleville » ne trouveraient ici des dupes ou des complices.

Au surplus, nous aurons bientôt l'occasion d'entendre à nouveau les divines harmonies de Lohengrin. La direction du Grand-Théâtre a tout à gagner à remonter le plus tôt possible un opéra dont le succès est loin d'être épuisé et autour duquel on fait tant de tapage. C'est une belle réclame, dont il faut profiter dès le début de la saison.

Car voici que nos théâtres rouvrent leurs portes. Les Célestins ont déjà donné un échantillon varié de leur répertoire : drame, vaudeville, comédie, il y en a pour tous les goûts et des acteurs « maître-jacques » passent avec aisance du Bossu au Monde où l’on s'ennuie, au grand étonnement des spectateurs.

A Bellecour on va parait-il monter les vieilles opérettes célèbres, en commençant par le Petit'Faust et la Fille de Madame Angot. La tentative semble bien hasardeuse. L'opérette coûte très cher; elle nécessite de grands frais et ne fait que de maigres recettes. C’est d'ailleurs un genre qui ne convient nullement au vaste cadre de Bellecour.

Cette immense scène ne saurait être ulilisée qu'en y donnant le drame, comme à la Porte Saint-Martin ou à l'Ambigu. Il y a toujours un public pour ces sortes de pièces, quand elles sont bien montées et bien jouées. Il serait même désirable que le drame fut en quelque sorte monopolisé à Bellecour.

Les Célestins pourraient se consacrer spécialement à la comédie qui fera toujours de l'argent à Lyon, pour peu qu'elle soit interprétée par une troupe convenable. Avec le Grand-Théâtre, où l'opéra et l'opéra-comique se maintiennent à un niveau artistique mieux que suffisant, nous aurions dans tous les genres un ensemble de représentations théâtrales tout à fait digne d'une ville comme Lyon.

Mais, hélas ! le public propose et les Directeurs disposent!

Les journaux du high-life annoncent que la cigarette devient à la mode parmi les femmes du meilleur monde, parce qu'une des filles du prince de Galles a contracté l'habitude d'en « griller » plusieurs tous les jours, même en public.

Cet exemple de snobisme est admirable. Que le faubourg Saint-Germain me permette alors de lui poser une question : S'il prenait fantaisie à Mlle de Galles de fumer la pipe ou de chiquer, toutes nos marquises se croiraient donc obligées d'arborer le brûle-gueule ou de mâcher la carotte?

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