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Causerie

Tous les journaux de sport donnent Le détail des courses qui auront lieu à Spa la semaine prochaine. « Ce meeting » offrira une attraction inédite et bien fin de siècle. Les chevaux qui s'y présenteront ne seront pas montés par les affreux petits bonshommes difformes et mal bâtis que nous expédie l'Angleterre sous le nom de jockeys, mais bien par d'élégantes et jolies amazones.

On ne niera pas que ce ne soit là un grand progrès, et il est à souhaiter que nous puissions bientôt apprécier cotte heureuse innovation au Grand-Camp et à Bonneterre.

Les courses y gagneront d'abord en intérêt sensationnel, ainsi qu'au point de vue plastique. Quel régal de voir courir les courses plates par des femmes qui ne le seront pas ! Et quelle joie pour les heureux possesseurs des triomphatrices, quand elles passeront le poteau au milieu d'une gloire d'applaudissements et de hurrahs !...

Il y aura aussi des agréments très appréciables pour les spectateurs. Supposez qu'une jeune et appétissante « jockette » se laisse choir devant vous au saut de la rivière. Quelle occasion de vérifier ses aimables performances, en délaçant indiscrètement son corset pour la ramener à la vie ?

J'ajoute que la plus noble conquête que l'homme ait jamais faite gagnera sûrement un surcroît de prestige, en étant moulée par la plus belle moitié du genre humain. Enfin, les jeunes filles du monde, dont les familles auront été ruinées par nos krachs quotidiens, trouveront dans la carrière du turf un débouché rémunérateur et souvent même des maris, parmi les sportsmens qu'aura séduits la solidité de leur assiette...

Courses de femmes, courses aux femmes! N'est-ce pas tout un? Le goût des sports singuliers est d'ailleurs très répandu surtout en Angleterre. Je lisais récemment dans un journal anglais le récit d'une série de courses d'animaux, qui ont été courues chez le colonel Mills à Malmesbury.

Une première épreuve dans laquelle chaque concurrent devait faire franchir un espace de terrain déterminé à un quadrupède: porc, veau, furet, chat, ou mouton, qu'il dirigeait vers le but, a été gagné par miss Mills, arrivée bonne première avec un cochon d'Inde. Vint ensuite une seconde course réservée aux oiseaux de basse-cour. Mme Toles remporta le premier prix avec un canard de Barbarie et Mme Wilson le second avec une pintade. Cette peine fête bien britannique se termina par une poule de consolation, qui fut enlevée brillamment par une jeune chèvre.

On voit que pour l'imagination sportive on ne peut pas dire qu'ils n'en ont pas en Angleterre !

Enfin le grand-duc Alexis va donc pouvoir se reposer et faire sa cure connue un simple mortel. On a bien raison de dire que le métier de roi ne vaut pas celui de rentier...

Venu à Paris pour se promener et se distraire, en vrai Parisien et en vrai boulevardier qu'il est depuis longtemps, le frère du tzar n'a pas pu mettre le pied hors de son hôtel sans être immédiatement suivi par une longue file de fiacres bondés de reporters, ou sans être entouré par une foule enthousiaste sans doute, mais singulièrement gênante pour quelqu'un qui veut être seul. A Vichy on lui inflige un peu malgré lui une réception pompeuse avec préfet, maire, sociétés musicales, manifestations dans la rue et au théâtre, bref tout l'appareil bruyant qu'il redoutait si fort.

Evidemment il doit être touché de ces explosions de sympathie; mais est-on sûr qu'il n'en soit pas un peu obsédé ? Gardons-nous de l'excès en tout, qui est un peu notre péché mignon à nous autres Français.

De grâce, laissons un peu tranquille ce pauvre « grand-duc ». Autrement il pourrait bien finir par trouver que nous ne sommes pas « chouettes » !

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