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Causerie

Je ne sais si les jeunes gens qui peuplent aujourd'hui nos lycées et collèges pensent de même, mais au temps …où rêveuse bourrique,Grand diable de quinze ans j'étais en rhétorique, j'avais en horreur les distributions de Prix.

Non point que je fusse absolument un cancre, j'ai connu, moi aussi, l'inoubliable joie de recevoir des mains du censeur deux volumes reliés en veau et de sentir une couronne en papier vert se poser sur mon front pur, tandis que M. le Préfet m'appelait « son jeune, ami », avec accompagnement flatteur et cuivré d'une musique militaire.

Mais ces ivresses n’emplissaient point ma jeune âme. Je me disais qu'il eut été si bon d'entrer en vacances tout de suite, sans subir l'énervement de ce dernier jour de geôle et la douche si pénible du discours d'usage !

Il me souvient d'un atroce professeur de grammaire qui nous fit une harangue de deux heures sur les racines des racines grecques. Vingt ans après j'ai encore la migraine rien que d'y penser !

Heureusement, les écoliers du temps présent ne souffrent plus de semblables tortures, le pédantisme étant chaque jour plus délaissé comme système d'éducation. Les discours de distributions de, prix subissent eux-mêmes l'influence salutaire d'une fin de siècle qui a horreur du solennel et de l'ennuyeux. N'a-t-on pas entendu, la semaine passée, une allocution en vers français — voire même en vers libres! — sous les voûtes austères de la Sorbonne?

Vous souvenez-vous aussi des indigestes et soporifiques volumes qu'on décernait autrefois en prix ? Vraiment le choix en était invraisemblable. Tous les rossignols des vieux fonds de librairie, tous les auteurs les plus ignorés et les plus rasants étaient achetés avec un soin jaloux par les lycées, pour servir de récompense et de pâture à nos imaginations d'enfant. Moi qui vous parle, j'ai eu l'honneur d'être gratifié, à la fin de ma troisième, d'un volume de je ne sais plus quel antiquaire sur les inscriptions cunéiformes des monuments d'Egypte. Quel régal pour un gamin de treize ans !

Les heureux potaches d'aujourd'hui reçoivent des livres écrits pour eux ; des récits de voyage ; des volumes de science amusante ; des narrations historiques aussi entraînantes que des romans.

Ce qui prouve que le progrès marche et qu'il ne faut redire le vieux refrain populaire :

De mon temps, oui vraiment,Tout était mieux qu'à présent,
que pour regretter la jeunesse, ce printemps de la vie qui fait les choses si douces et si belles...

Le Congrès des aliénistes qui se tient actuellement à Lyon ne paraît pas être composé de médecins dont les opinions soient parfaitement d'accord. La plupart des grosses questions traitées au sein de ce cénacle ont donné lieu a des débats absolument contradictoires.

C'est toujours la vieille rengaine : Hippocrate dit oui et Gallien dit non.

Nos savants aliénistes ont cependant été à peu près unanimes à reconnaître que Ravaillac ne devait pas être de sang-froid quand il a assassiné Henri IV; que l'arquebuse est une liqueur forte, dont il ne faut pas boire avec excès; et enfin que les épileptiques sont des malades qui ont besoin d'être soignés.

Après cela, il faudrait avoir l'esprit bien mal fait pour prétendre que ce congrès aura été inutile !

Il est seulement regrettable qu'un aliéniste imprudent ait fait le procès du kümmel, au point de vue épileptogène. Ce n'est pas au moment où notre flotte vient de recevoir un si bel accueil à Cronstadt, qu'il était opportun de jeter le discrédit sur la liqueur nationale russe. Il y a là une question de haute convenance internationale dont l'intérêt diplomatique ne saurait échapper à personne.

Tout le monde reconnaîtra que l'instant était bien bien mal choisi pour déclarer officiellement le kümmel odieux...

Quant à la question de savoir si les médecins guérissent la folie, je sais beaucoup de gens qui pensent sur ce point comme Gérard de Nerval.

Lorsqu'il eut les premières atteintes de la maladie mentale qui le poussa au suicide, ses amis l'obligèrent à se confier aux soins d'un célèbre spécialiste, le docteur Blanche. Et quand on demandait au pauvre garçon ce qu'il avait, il répondait invariablement : — Une fièvre chaude compliquée de médecins!

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