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Causerie

La grève du personnel du service actif des omnibus parisiens a causé une perturbation profonde dans la vie de la capitale. Je me garderai de jeter la moindre goutte d'huile sur ce feu et je réserverai mon avis personnel sur les grèves.

Il me souvient cependant de quelques-unes qui firent la joie des amateurs. En 1881, il y eut, à Marseille, une grève de vidangeurs, et comme bien on pense, les effets de ce redoutable, chômage ne tardèrent pas à se faire sentir !

Presque en même temps, les internes de Bucharest se mirent en grève pour une cause des plus vulgaires. Ils se plaignaient de la façon dont leurs repas étaient servis. Les pourparlers durèrent trois jours, pendant lesquels les pauvres malades se tirèrent, d'affaire comme ils le purent.

Du reste, nous avions eu mieux, en France même, en 1878. Les médecins du Havre trouvant sans doute que les Havrais n'étaient pas assez souvent malades, ou qu'ils n'étaient pas suffisamment généreux, s'étaient réunis et avaient voté à l'unanimité un ultimatum qu'ils avaient adressé à leur clientèle.

C'était un état des honoraires aux termes duquel toute visite demandée à heure fixe, ou de sept à dix heures du soir, devait être payée double. Toute visite de nuit (de dix heures du soir à six heures du matin) devait être payée « suivant les classes établies », dix, quinze ou vingt francs. Les malades qui n'avaient pas la possibilité, eux, de se mettre en grève, furent bien forcés d'en passer par là, ou d'en trépasser.

Je me l'appelle aussi une grève de croquemorts à Naples, et une grève d'enfants de choeur à Périgueux !

Oui, les enfants de choeur du chef-lieu de la Dordogne menacèrent de rendre, non leur tablier, mais leur surplis, si l'on ne faisait droit à leur requête. Ces jeunes Eliacins se refusaient :

…à venir à l'autel,Présenter au grand-prêtre ou l'encens ou le sel,
si l'on ne consentait à augmenter leurs émoluments de vingt-cinq centimes par jour . Il me semble qu'on transigea sur les bases d'une augmentation de trois sous !

Mais il y a mieux encore; l'année 1885 vit une grève de prêtres ! Il est vrai que cela se passait en Bulgarie. Le traitement des popes n'ayant pas été payé, ces oints du Seigneur fermèrent boutique d'un commun accord et ne reprirent, qu'après parfait paiement, l'exercice de leur saint ministère.

La grève la plus curieuse que je connaisse, et elle n'était point des moins héroïques, fut celle des fumeurs de Venise, pendant l'occupation autrichienne. L'Autriche ayant, bien entendu, le monopole du tabac, les Vénitiens firent tous leurs efforts pour en réduire le rendement à sa plus simple expression. Tout bon patriote devait, ou s'abstenir de fumer, ou ne fumer que du tabac de contrebande. La plupart des Vénitiens observèrent cette règle, qui infligeait de réelles privations, car la contrebande était réprimée avec une sorte de férocité par les Autrichiens, par ces Tedeschi abhorrés avec, lesquels les Italiens font maintenant commerce d'amitié et pacte d'alliance.

Souvent hommes varient.

L'Institut se dispose à accorder le prix biennal de vingt mille francs au duc de Broglie, l'auteur de Frédéric II et du Secret du Roi. On proteste énergiquement dans la presse contre un pareil choix et on conteste la valeur des ouvrages de M. de Broglie.

On a tort.

Ces ouvrages ont des qualités tout à fait remarquables. Il paraît qu'un vieux monsieur atteint d'une maladie nerveuse, souffrait de cruelles insomnies. Sa famille était très inquiète et les médecins y perdaient leur latin. On lui avait fait prendre du bromure de potassium, du chloral, de l'opium à haute dose ; le pauvre homme continuait à ne pas fermer l'oeil.

Un jeune médecin nouvellement établi fut appelé. Il constata la gravité du cas et déclara à la famille qu'il n'y avait plus à reculer devant les moyens extrêmes. Il fallait jouer le tout pour le tout. Une heure après, il revenait, apportant un redoutable in-octavo : le Secret du Roi, par M. le duc de Broglie (de l'Académie française). Il s'assit et commença la lecture. Cinq minutes à peine s'étaient écoulées, le malade pencha la tète et s'endormit profondément. Avec l'imprudence de la jeunesse le médecin força la dose ; il lut tout un chapitre! Le résultat fut terrible. Le sommeil du patient devint une profonde léthargie et ce n'est qu'au bout de trois jours qu'on parvint à le réveiller en le gorgeant de café noir.

Les oeuvres du duc de Broglie, bien administrées, avec une sage prudence, peuvent donc rendre des services dans la thérapeutique. Seulement, ce n'est pas l'Académie française qui devrait les récompenser, c'est l'Académie de médecine!

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