Choses et Autres

Anguilles de Melun.

On dit proverbialement de quelqu'un qui s'épouvante sans raison ou qui crie avant d'avoir aucun mal : II ressemble aux anguilles de Melun, il crie avant qu'on l'écorche.

Dieu a accordé la parole, manifestée d'une manière plus ou moins intelligible, à presque tous les animaux, il l'a refusée aux poissons. Les poissons souffrent et sont heureux en silence. Quand on les torture, soit à la pèche, soit à la cuisine, ils expriment leurs douleurs par des contractions parfois très violentes, mais ils restent muets. L'oiseau chante, le lion rugit, le serpent siffle, le poisson s'agite et se tait. L'anguille donc ne crie pas, même à Melun, même quand on l'écorche, et à plus forte raison quand on ne l'écorche pas. L'anguille de notre proverbe n'est donc pas une anguille. On prétend que c'est un habitant de Melun, chargé, dans le temps des Mystères, de représenter le personnage de saint Barthélémy, qui, comme on sait, fut écorché vif. Soit qu'il n'eût pas toute la force d'âme nécessaire pour jouer un pareil rôle, soit qu'il ne fût pas à la réplique, ce Molunois, nommé Languille se serait mis à crier bien avant qu'il fût question de son supplice. C’est ainsi qu'il aurait laissé son nom aux gens qui crient d'avance, qui se plaignent avant de souffrir ou s'effrayent avant le danger.

Il est du bois dont on fait les flûtes.

C'est un homme sans caractère, qui se range aisément à l'opinion des autres et dont on fait ce que l'on veut. On sait que la flûte n'était d'abord qu'un simple roseau grossièrement façonné en instrument; on sait aussi que le roseau est souple et facile à manier. Il est du bois dont on fait les flûtes signifie donc figurément : c'est un roseau qui plie à tous les vents.

Il y avait autrefois à la Chambre plusieurs députés du nom de Dubois. L'un d'eux appartenait au parti conservateur et son vote était toujours, dans toutes les questions, au service et aux ordres du ministère. Un journal de l'opposition, qui prenait quelquefois à partie ce député obéissant, ne manquait jamais de l’appeler M. Dubois... dont on fait les flûtes. Mais M. Dubois n'étant pas encore assez de ce bois-là pour supporter sans colère cette queue ironique ajoutée à son nom, demanda justice aux tribunaux. On reconnut sans peine qu'il y avait outrage et calomnie, et le journal fut condamné. A partir de ce moment, ce même journal ne parla pas moins de M. Dubois ; seulement, pour rendre hommage à la chose jugée, il s'empressa de modifier sa première assertion et il écrivit : M. Subois... dont on ne fait pas les flûtes. Un renvoi indiquait au lecteur la date du jugement qui en avait ainsi décidé.

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