Sommaire :

    Salon lyonnais

    Le Salon de cette année contient environ cinq cents toiles, sur lesquelles on peut trouver six ou sept oeuvres de réelle valeur, une centaine de tableaux intéressants et d'une moyenne honorable. Mais le surplus, c'est-à-dire les quatre cinquièmes, sont médiocres, mauvais ou ridicules. Tel est, en somme, le bilan de l'Exposition. On conviendra qu'il n'est pas brillant et que la Société Lyonnaise n'a point le droit de s'en montrer bien fière.

    La cause de cette décadence, qui s'accentue d'année en année, n'est pas difficile à mettre en lumière. La faute en est aux jurys d'admission dont les choix sont souvent dictés par des mobiles étrangers aux intérêts de l’art. Les professeurs et les chefs d’atelier qui l'emportent dans ce cénacle où les choses se passent en famille, ont décrété que nul n'aurait de talent hormis eux-mêmes et leurs amis.

    Et c'est ainsi que l'on voit s'étaler sur la cimaise des toiles qui sont des outrages aux lois du dessin et de la couleur, et dont les baraques des vogues ne voudraient pas pour enseignes. L'explication d'aussi inexplicables admissions, c'est que les auteurs de ces platitudes sont élèves de M. X... ou de M. Z..., qui font la pluie et le beau temps dans le jury, ce qui prouve que si l'enseignement de ces messieurs est d'une valeur contestée leur influence est incontestable...

    Quant aux récompenses accordées par ce même jury, elles sont plus étranges encore, et quelques-unes ont causé dans le public une véritable stupéfaction. Je ne parle pas, évidemment, de la médaille du Salon, décernée au remarquable tableau de M. C. Barriot ; cette distinction a été dévolue à la suite d'un vote de tous les exposants, et le suffrage universel s'est montré en la circonstance parfaitement équitable et clairvoyant. Mais comment qualifier certaines récompenses attribuées à des tableaux dont la nullité déconcerte, ou dont le seul aspect pousse au fou rire ? Certes, la camaraderie a quelquefois du bon, mais poussée à ce degré elle devient intolérable, et les choses en sont arrivées à un tel point que le public est en droit de se demander si l'on ne se moque pas de lui...

    C'est assez dire que la Société Lyonnaise des Beaux-Arts doit s'arrêter dans cette voie et tenir compte du holà! que tout le monde lui crie à qui mieux mieux. La suppression des récompenses ou tout au moins la modification du jury sont des réformes qui s'imposent, si la Société ne veut pas succomber comme ses devancières sous le poids de ses erreurs et de ses fautes. C'est aux peintres de talent qui font partie du jury - il y en a quelques-uns - à prendre l'initiative de ces mesures nécessaires : toute la presse et tous ceux qui s'intéressent aux choses d'art les y aideront.

    Les lecteurs du Progrès Illustré comprendront, après ce préambule, que notre revue du Salon lyonnais doit être courte. Je n'ai ni la place ni le loisir de parler de toutes les toiles dont il est encombré et dont beaucoup ont un peu moins de valeur depuis qu'on a mis de la couleur dessus. Je me bornerai, si vous le voulez bien, aux seules oeuvres qui offrent de l'intérêt.

    SALLE D'ENTRÉE

    RENÉ GILBERT (880).

    - Un des meilleurs tableaux du Salon que cet Aquafortiste, grandeur naturelle, campé solidement au milieu de son atelier. Le personnage et les accessoires sont d'une sincérité et d'un relief étonnants. Inutile de dire que le jury a juché ce beau morceau à une fort mauvaise place.

    COLLIN.

    - Mai (220). Délicieuse figure allégorique de femme au torse nu. Sa jeunesse et sa grâce, les fleurs qu'elle porte, le clair paysage qui l'entoure symbolisent poétiquement le renouveau.

    Louis APPIAN (18).

    - Le fils du peintre lyonnais expose une vaste Frédégonde. Si criminelle qu'ait été la femme de Chilpéric, elle ne méritait pas ce châtiment d'être représentée sous cet aspect banal et prétentieux.

    NOIROT.

    - Les Pierrées d'Orgon (Loire). Paysage vigoureux d'un artiste qui sent fortement et qui peint de même. Cet étang cerclé de montagnes pesantes, ce ciel lourd et morne produisent une impression saisissante. A signaler du même peintre, dans une autre salle (n° 640) une Ferme du Forez pendant la moisson, vibrante et lumineuse dans le flamboiement du soleil de juillet.

    Quand j'aurai cité un consciencieux paysage d'ARLIN (22), de beaux poissons de COCQUEREL, (215), une marine de MALEROY (548), très fine de ton, et le Coin d'Atelier de F.-A. BAIL (32 bis), il nous faudra passer à la

    GRANDE SALLE OUEST

    C. BARRIOT.

    - Aux Champs (47). C'est le tableau que représente notre gravure. Un paysan et une paysanne, accoudés sur un pan de muraille en ruine, se reposent en causant au milieu d'un vaste paysage au fond ensoleillé, que des montagnes ferment à l'horizon. Cela est traité sobrement, d'une facture harmonieuse et juste, avec un enveloppement de plein air qui donne au tableau une rare intensité de vie. L'oeuvre de M. Barriot a obtenu la médaille du Salon et, cette fois, tout le monde a crié: bravo! Du même, une Pandore(48), tête d'étude aux éclatantes colorations.

    JULES LEFEBVRE.

    - Un des quelques Parisiens de haute marque que la médiocrité de notre Salon n'ait point rebutés. Son Yvonne (512) est une charmante et pure jeune fille blonde, qui serait digne de figurer sur le missel qu'elle tient dans ses belles mains. La seule critique qu'on pourrait peut-être adresser à cette page parfaite résulte de sa perfection même. Ce teint est si délicat, ces cheveux si idéalement blonds, ces mains si fines! I1 est vrai que ces défauts-là sont dignes d'envie et non pas à la portée de tous les peintres.

    SALLE.

    - Sans Travail (777). Un vieux mendiant, cassé, racorni par l'âge et la misère. Morceau un peu triste, mais d'un réalisme profondément senti et d'une note très juste. Le Portrait de M. T. (778) se recommande aussi par les mêmes qualités. En somme, envoi tout à fait intéressant. Et dire que le jury a préféré à M. Sallé, pour une première médaille, l'auteur de la croûte kilométrique (n° 860), intitulée une Toilette à Pompeï !

    TRÉVOUX (827).

    - Un bouquet de grands chênes, très robustes d'anatomie, dresse sa masse verdoyante à l'entrée d'un paysage vallonné que la lumière inonde. Au loin, des montagnes bleues ; au second plan un troupeau de moutons. Toile vibrante d'un impressionniste qui ne s'égare point dans l'excentrique. Tout à fait remarquable et bien venu.

    Mlle S. OLIVIER.

    - Portrait du Général de Teissonnière (644). Tout le monde, à Lyon, connaît le distingué général. Mlle Olivier a rendu non sans talent cette personnalité sympathique. On voudrait cependant une expression moins sévère à la physionomie et quelque chose de plus souple dans la pose.

    HARPIGNIES, le maître peintre, MM. DAMOYE et JAPY exposent dans cette même salle de savoureux paysages qui n'ont que le défaut de n'être pas assez importants.

    S1CARD.

    - Un Dragon (789) traînant son cheval par la bride sur un chemin neigeux. L'homme est excellent, mais le raccourci du cheval est par trop réduit. Cependant l'effet général n'est point déplaisant.

    CLAUDE.

    - La Poule au pot (210). Quelle superbe nature morte que cette poularde plumée, toute prête à être bouillie au gros sel ! Plus loin, les traditionnelles et succulentes Prunes (211) auxquelles nous a habitués cet artiste d'un si beau tempérament.

    APPIAN (ADOLPHE).

    - C'est surtout par son incomparable fusain L’Etang (17) que vaut l'envoi de M. Appian. Les deux tableaux Environs des Martigues (15) et A travers les Marais (16) seraient bien jolis si ces tons-là existaient dans la nature.

    BRILLOUIN.

    - Dimanche (139). Elle est amusante à voir cette sortie d'église, et d'une composition bien agencée. Il est regrettable que la couleur n'ait pas plus d'éclat.

    BOUVIER.

    - Le Repos du modèle (134). Gentille toile, traitée avec esprit et avec du goût dans les détails. Mais quand on est modèle et qu'on est affligée de pareils seins et de tels pieds on les cache !

    BALOUZET.

    - Un des rares peintres qui nous consolent de la croissante médiocrité de l'Ecole lyonnaise. La Mare de Neyron le soir après la pluie (39), est un paysage de fort grande allure, solidement établi et largement peint. Ce tableau a été très remarqué l'an passé au Salon de Paris. Rien d'étonnant à ce qu'il soit admiré au nôtre.

    SAINT-CYR-GIRIER a deux paysages (406 et 417) qui, pour être moins grands que ceux qu'il expose d'habitude, n'en sont pas plus mauvais.

    LAISSEMENT.

    -La pourpre de ce cardinal (498) qui dort si profondément est de bien médiocre qualité. En revanche la pose est bonne et l'expression spirituelle. Du même peintre, une Tête de moine (499) traitée à la manière noire.

    BEAUVERIE.

    - Un étang, des bouquets d'arbres, des roseaux, avec des colorations automnales et un ciel gris. Cette toile importante, d'une touche un peu sèche, témoigne du talent consciencieux de M. Beauverie.

    FRANÇAIS.

    - Je n'aime pas beaucoup le Coin de villa à Nice (362). C'est un peu fouillis et sans grand relief. Les premières feuilles (363) sont infiniment plus séduisantes. On retrouve dans ce dernier tableau toute la maîtrise du peintre consacré des sous-bois.

    (La fin au prochain numéro.)

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