La mode
Paris, le 2 avril.
C'est sur les rives ensoleillées de la Méditerranée qu'éclosent les modes printanières. Là-bas, tout est gai, riant, l'air y est parfumé, le soleil radieux, aussi les élégantes font-elles assaut de coquetterie, la nature fleurie n'est-elle pas le vrai cadre de la femme jolie ? Les douillettes, fourrures, les sombres vêtements d'hiver sont remisés au fond des grandes armoires, pour faire place aux étoffes légères. J'ai rapporté de Nice une véritable moisson de nouveautés que je suis heureuse de vous offrir, Mesdames, et qui vous guideront dans le choix des toilettes de demi-saison.
Les pierreries semblent, à l'heure qu'il est, être arrivées à l'apogée de leur triomphe, on en met partout et à foison.
Les robes, les manteaux, les chapeaux en sont littéralement criblés. Le gros cabochon de jais s'accommode, on peut le dire, à toutes les sauces, les pèlerines en drap de toutes teintes en sont couvertes, les bas de jupes ornés de plusieurs rangs gradués, les robes de bal elles-mêmes ne s'en affranchissent pas. Certes, cela est d'un fort joli effet, mais on en abuse, et cette exagération diminuera singulièrement, j'en suis persuadée, la durée de son règne. Je ne conseillerai donc pas cette garniture pour une toilette durable.
Bien plus coquet et surtout beaucoup plus comme il faut sont les paillettes d'acier et d'or bruni employées modérément, sur une robe de lainage, par exemple ; les manches, le col et le gilet simplement pailletés. J'ai vu une fort jolie toilette de dîner dans ce goût et d'une grande simplicité : tout en velours noir, absolument unie. La manche seule, très bouffante, était ornée, dans le haut, d'un motif en petits cabochons de rubis strass, émeraude et saphyr. Cette toilette peut se faire aussi en soie noire, peau de soie ou bengaline.
La robe de lainage pour ce printemps semble demeurer plate, les corsages se feront moins longs ou à taille ronde pour les personnes très minces, par contre la robe de foulard, de grenadine, ou de voile a une tendance très marquée vers la draperie. Cet essai réussira-t-il ? On ne peut l'affirmer, mais il a beaucoup de chance, car rien n'est disgracieux comme les robes légères toutes droites. J'ai aperçu aussi un fort joli tissu qui semble destine à un vif succès pour costumes simples, sans garniture aucune. Je veux parler de la côte de cheval en laine. Le beige et le gris sont les nuances les plus réussies. Cette nouvelle étoffe a un grand avantage, celui de mouler la taille, et surtout d'être très durable, de ne se froisser jamais. On en fait aussi des jaquettes, des vêtementsde voyage, etc. La dernière production de la mode est le collet Henri II, il détrône un peu la jaquette, quoique celle-ci restera toujours le vêtement correct et pratique par excellence. Ces collets se font dans tous les tissus, depuis le brocart le plus riche, les dentelles les plus fines, jusqu'au simple drap uni. Ils se font très longs, avec col Médicis et empiècement de broderie.
Quant aux chapeaux, la mode de demain nous réserve des surprises. Les modistes, de vraies magiciennes, ont tait surgir de leurs ateliers les adorables capotes que l'on portera aux premiers beaux jours. J'ai aperçu au milieu de cent autres formes une guirlande de roses nuancées formant le fond d'un chapeau et posée sur un ruban de tulle noir saupoudrée d'or, avec cache-peigne de roses et dr feuillage voilé du même tulle.
Puis un mignon toquet de paille mordoré avec branche de narcisses en velours blanc et de mimosas. Toque de ruban de velours aubergine sur le devant Un autre grand chapeau en crir noir était orné d'un chiffonné de véritable dentelle de Bruges et bouquet d'épis de jais. L'esprit inventif des couturiers et des modistes piépare, pour le concours hippique, cette grande première de la mode printanière, d'idéales nouveautés absolument inédites. Je vous en parlerai le moment venu.
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