Causerie
Dans la dernière réunion des Amis de l'Université lyonnaise, M. le professeur Depéret, parlant de la période glaciaire, semblait avoir choisi un sujet de pleine actualité.
Nous y revenons à la période glaciaire. L'hiver a fait ces jours-ci un retour offensif. C'était à croire qu'il se disposait à liquider son fond de magasin à trente pour cent de perte. Un de nos confrères rencontre, place Bellecour, un de ses amis qui se plaint de la température :
C'est l'épilogue de l'hiver, dit-il, et cependant, j'ai déjà aperçu des hirondelles...
Allons donc ! s'écrie le journaliste, les hirondelles se garderont bien de revenir tant qu'il ne fera pas plus chaud que cela. Elles ne sont pas si bêtes.
Je vous affirme pourtant que j'en ai vu. Alors, mon cher ami, c'étaient des hirondelles de conserve !
Dans l'Amérique espagnole il y a toujours au moins une révolution en train de mijoter. En ce moment, il y en a une en pleine ébullition au Chili , où les gens se bombardent mutuellement avec la verve des pays chauds. En même temps, de l'autre côté du continent, à la Plata , les choses prennent une assez mauvaise tournure. Heureusement, les capitalistes français n'ont pas souscrit beaucoup d'emprunts de ces pays-là. Ce sont surtout les Anglais qui ècopent. Il est juste que chacun ait son tour. On se demande comment tout cela va finir, les complications de la politique à Buenos-Ayres ne pouvant qu'aggraver le discrédit national.
Les valeurs argentines Sont bien bas, les mâtines, grâce au trouble intestin du bon peuple argentin ! Si j'ose m'exprimer ainsi...
A propos de troubles intestins, les journaux, ont publié sur ces affaires une dépêche astringente qui m'a laissé rêveur : « Le général Roca est enfin sorti du cabinet (!) mais ses collègues, excepté M. Y. Lopez , refusent de le suivre. Il a adressé une circulaire aux chefs de son parti pour leur signaler la gravité de la situation. » Pour que les collègues de M. Roca refusent obstinément de sortir du cabinet, il faut, en effet, que la situation soit grave. Ça ne va pas tout seul, comme on dit ! Le plus sage, en pareil cas, serait de recourir aux mesures émollientes et de ne pas demander aux ministres de faire l'impossible... Seulement, là comme en tous pays, il y a des gens pressés d'entrer, à leur tour, dans les cabinets, et ils sont toujours vexés de constater qu'il y a quelqu'un !
L'enfant à deux têtes, qui fait en ce moment l'admiration du monde médical, ne connaît pas son bonheur ! Naître à cette époque privilégiée et naître avec deux têtes pour en jouir doublement, quelle précieuse faveur de la destinée ! Il faut cependant prévoir rien n'étant parfait ici-bas le cas où les deux têtes du petit citoyen n'auraient pas exactement la même conformation.
Si le malheur voulait que la tête de droite soit conformée de façon à ne pouvoir produire que des idées protectionnistes, tandis que le crâne de gauche, au contraire, ne serait accessible qu'aux doctrines libres-échangistes, on verrait se manifester, à de certains moments (tel que le moment présent), un antagonisme qui empoisonnerait l'existence de cet infortuné bicéphale. Et puis, voyez quel serait son embarras, avec ses deux têtes irréconciliables, si, par la suite, il venait à être élu député ! Il aurait des discussions terribles avec lui-même, et il serait réduit à voter pour et contre dans un même scrutin. Qui sait même si, après un échange de paroles trop vives, entre ses deux têtes, il ne se verrait pas dans la pénible nécessité de s'envoyer des témoins ! Du reste, le fait de n'avoir qu'une seule tête n'implique pas absolument la nécessité de n'avoir qu'une seule manière de voir en toutes choses. Tant s'en faut! Janin, le célèbre critique, disait : «Savez-vous pourquoi j'ai duré vingt ans?... Parce que j'ai changé tous les quinze jours d'opinion. Si je disais toujours la même chose, il n'y aurait plus d'intérêt, plus de curiosité de mon feuilleton... on me saurait par coeur avant de me lire. »
C'est probablement pour échapper à cet inconvénient que tant de gens s'appliquent à jeter une grande variété dans leurs principes et dans leurs idées. « Quand tout change dans la nature, pourquoi ne changeraient-ils pas? »...