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Causerie

L'expression : mourir de froid n'est plus une vaine métaphore. On meurt de froid, ces jours-ci !

La population Lyonnaise, toujours prête aux actes de solidarité charitable, n'oublie pas ses devoirs devant la souffrance des malheureux. Elle leur vient en aide par tous les moyens. C'est qu'en vérité, on ne saurait trop faire en faveur des déshérités qui grelottent devant un foyer éteint :

Le foyer où jamais ne rayonne une flamme, Les enfants affamés et la mère en lambeau, Et sur un peu de paille , étendue et muette, L'aïeule , que l'hiver, hélas, a déjà faite Assez froide pour le tombeau !

Il faut que chacun pense à ces misères et les secoure de son mieux. La bienfaisance fait partie intégrante de l'honnêteté pour celui qui possède. Elle est toujours facile et toujours douce à exercer..

Les femmes y trouvent une des plus nobles satisfactions morales, car elles sont bonnes et tendres. Une femme sans bonté, fût-elle belle comme Cléopâtre, n'est qu'une créature anormale, incomplète, une infirme du coeur, indigne d'être aimée.

D'ailleurs, une femme très bonne ne saurait être laide, car la beauté de son âme se reflète toujours sur son visage.

Une aimable dame lyonnaise qui s'occupe activement d'organiser des secours, vient de donner une sanglante leçon à l'avare compagne d'un homme plusieurs fois millionnaire. Elle lui avait écrit pour lui annoncer qti'elle recueillait des secours en argent et en nature, et pour faire appel à ses sentiments de générosité. La richissime personne lui envoya deux vieilles paires de bas et une pièce de dix francs !

La quêteuse scandalisée fit part à ses amies de cet acte de pingrerie qui obtint un succès d'indignation ; puis, elle acheta un magnifique bouquet de soixante francs et elle l'envoya à l'opulente Harpagonne avec ces simples mots : Hommage des pauvres reconnaissants

Un incident assez curieux s'est produit, cette semaine, entre un avocat qui plaidait devant un juge profondément endormi. L'avocat a interrompu sa plaidoirie en déclarant qu'il attendrait le réveil du magistrat pour la continuer.

Il est évident qu'on a peine à s'expliquer que la justice puisse être rendue par des juges qui se livrent de temps à autre, sur leur siège, aux douceurs du sommeil ; mais il y a pis encore. Je veux parler des juges atteints de surdité partielle. On en a même connu étaient sourds au point de prendre le tonnerre pour le tambour de la mairie.

Je me rappelle le cas d'un juge d'instruction du Vigan qui était sourd d'une oreille. Après avoir plus ou moins «instruit » plusieurs affaires, il fut remplacé par un autre qui était sourd des deux côtés !

J'ai l'air de raconter une anecdote imaginaire, mais rien n'est plus exact. Je pourrais citer les noms.

A la suite de démarches nombreuses, la cour de Nimes dépêcha une commission chargée de constater le délabrement des conduits auditifs du magistrat. Mais on sait que la prétention de tous les sourds est précisément d'avoir l'ouïe très fine. Le juge d'instruction s'indigna donc à la pensée qu'on voulait explorer l'intérieur de ses pavillons et vérifier l'état de ses trompes d'Eustache... Les trois délégués venus pour cette singulière expertise furent réduits à la remplacer par une enquête et ils conclurent à la surdité. Ce qui n'empêcha pas la Cour, toutes chambres réunies, de décider, dans sa sagesse, que le juge était toujours en état d'exercer ses délicates fonctions.

On se demandera, dès lors, dans quel but l'enquête avait été prescrite.

Je me représente aisément un interrogatoire auquel procède un juge d'instruction atteint de surdité :

Cascaillou, où étiez-vous le 15 janvier de l'année dernière, à minuit quarante-cinq minutes ? Diable, vous me parlez-là de longtemps, et je ne sais pas trop où j'étais à ce moment. Seulement, comme j'ai l'habitude de me coucher de bonne heure, il est probable que j'étais dans mon lit. Fort bien ; vous vous trouviez sur le lieu du crime. Cette déclaration est conforme aux renseignements recueillis. Ecrivez, greffier. Et, dites-moi, Cascaillou, y étiez-vous seul ou en compagnie de votre femme ? Dans mon lit ?... Avec ma femme, naturellement. Mon ami, il vous sera tenu compte de cet aveu. Vous avez compris que vous n'aviez aucun intérêt à essayer de tromper la justice. Greffier, écrivez qu'il se trouvait sur le lieu du crime en compagnie de sa femme. Mais, sapristi, greffier, n'écrivez rien du tout. Voulez-vous bien ne pas écrire ! ... Je proteste avec indignation. Je ne sais rien ; je n'ai rien fait de mal. C'est trop fort, à la fin ! Bien, Cascaillou. Il vaut toujours mieux avouer sans détours. Cette émotion et cette sincérité montrent, malgré l'horreur de vos forfaits, que vous n'êtes pas encore irrévocablement gangrené. La justice ne l'oubliera pas. Gardes, emmenez l'accusé !

Les rigueurs de l'hiver ont redoublé la mortalité dans une proportion désolante, et Lyon n'a pas été épargné. Hier, une jeune veuve est interpellée, place Bellecour, par un brave homme qui lui offre de lui vendre un petit griffon gris-clair.

Il est charmant, dit-elle, mais la couleur ne me va pas. Vous n'en avez pas d'autres ? Pardon, madame ; si vous vouliez bien venir chez moi, je vous en montrerai plusieurs. J'en ai de toutes les nuances. Il m'en faut un noir, très noir ; je suis en grand deuil.
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