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Causerie. Lyon, 11 février 1806.

Le théâtre a parfois ses vrais drames, ses accidents tragiques qui offrent alors, malheureusement, une vérité plus saisissante encore que celle cherchée par S'auteur. C'est le cas de ce jeune comédien, Emile Emmanuel, qui vient de mourir après s'être atteint à la main, en scène, avec un pistolet destiné à ne causer que des blessures factices. A la suite d'une contusion légère, le tétanos l'emporta.

Ce douloureux fait-divers n'est pas sans précédents. Et le sang parfois couvre le rouge dont se fardent les acteurs. N'est-ce pas le fameux mime romain Roscius qui, emporté par le feu de l'action, tua net un autre acteur? Celui-là, au moins ne jouait pas sans conviction ! il entrait si bien dans la peau du bonhomme, qu'il en voulait à celle de ses partenaires...

On peut citer aussi, comme particulièrement dramatique, la mort récente de l'acteur italien Baletti. Dans un mélo, le traître lui tirait à bout portant un coup de feu. Or, une main criminelle avait chargé le fusil à balle en le dérobant au magasin d'accessoires. Le malheureux tomba foudroyé... Voilà un beau crime pour roman-feuilleton !

De tels accidents impressionnent particulièrement l'opinion. Car, ce sont des morts causées pour le plaisir d'autrui, au milieu d’un spectacle où le public est venu chercher une récréation.

A vrai dire ces dénouements lamentables sont fort rares. Les armes de théâtre sont plutôt inoffensives. Et ceux qu'elles tuent se portent assez bien, malgré la furie des mousquetades et les grands coups d'estoc et de taille qui s'échangent dans les combats scéniques. Souvent même elles donnent lieu à des incidents comiques. Témoin cette mésaventure burlesque survenue à Chily, le légendaire directeur de l'Ambigu.

Ce farceur célèbre avait en scène un aplomb imperturbable et volontiers il en abusait pour mettre ses camarades dans l'embarras. Un jour qu'il avait refusé une avance à Laurent, un de ses pensionnaires, celui-ci jura qu'il se vengerait.

Le soir, Chily, dans un vieux drame du répertoire, devait tuer Laurent d'un coup de couteau. Meurs donc, s'écria Chily en lui assénant un coup effroyable.

Mais Laurent restait debout, au grand étonnement du public. Donne-moi une avance, disait-il doucement à son directeur. Meurs donc, misérable ! reprit Chily de plus belle. Si tu ne me donne pas d'avance, je ne meurs point... Voyons, assez de plaisanterie, reprit l'autre, je t'accorde ton avance !

Et Laurent consentit alors à quitter ce monde, à la grande joie de la salle, toujours enragée contre le traître.

Mais hélas, ce n'est pas pour rire que le pauvre Emile Emmanuel est mort ! Et c'est un fusil de théâtre qui le fit, très réellement et très lamentablement, passer de vie à trépas !

On vient de jouer au Palais-Royal un vaudeville de M. Georges Feydeau, le Dindon, qui a été un succès de rire digne des folles soirées du Fil à la patte et de Champignol malgré lui.

Or, M. Feydeau, au lieu d'être un auteur applaudi, faillit devenir comédien. Blond, mince, élégant, de physionomie avenante, il était à la veille de signer un engagement de jeune premier, au Vaudeville, pour y jouer dans la pièce de Paul Bourget, Mensonges.

Mais il avait un vieil oncle, qu'on disait à héritage, et qui jouissait dans la famille d'une autorité grande, à cause de sa future succession. L'oncle opposa son veto formel. Il fallut donc déchirer l'engagement et renoncer aux planches.

Ne pouvant jouer les pièces d'autrui, M. Georges Feydeau se mit alors à en faire, on sait avec quelle heureuse fortune. Le comique de l'histoire, c'est que au bout de quelques années l'oncle mourut sans laisser un sou. Il avait placé tout son avoir en viager !

Et voilà comment on devient auteur dramatique !

N'y a-t-il pas là matière à écrire un joli vaudeville ? M. Feydeau le fera peut-être un jour. Mais, quoi qu'il en soit, l'auteur du Dindon n'aura pas été le dindon de cette farce, car, sans le vouloir, son oncle lui a rendu un fameux service.

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