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Causerie

Cette semaine a été marquée par un événement bien lyonnais : la Coupole, la fameuse Coupole du Parc vient d'être sapée et renversée par les démolisseurs. Eu quelques minutes elle a cessé de vivre. C'est lundi matin que s'accomplit ce fait-divers, dont on peut dire sans exagération ni métaphore qu'il fut à fracas, attendu que la chute de cette masse de cinq cent mille kilogrammes de fonte, s'abattant d'une hauteur de cinquante-cinq mètres, n'a pas été sans causer aux habitants du quartier l'émoi d'un bruit aussi formidable qu'inattendu...

Je ne crois pas qu'il y ait lieu de déplorer le trépas de la Coupole au point de vue de l'Art. Cet énorme champignon de fer était prodigieusement disgracieux malgré les proportions gigantesques qu'on lui avait données, pour en faire le « clou » de l'Exposition. On eût dit un colossal parapluie métallique imaginé par quelque orléaniste enthousiaste pour symboliser le règne de Louis-Philippe dans une paradoxale apothéose.

Sans doute, tandis que la grande foire internationale d'il y a deux ans battait son plein, l'intérieur de la Coupole offrait un spectacle qui n'était pas sans grandeur ni sans attraits, avec le prodigieux entrelacement des agrès de fer, semblables, dans leur ascension hardie, aux piliers de quelque cathédrale monstrueuse: Mais depuis que la vie s'était retirée de ce vaisseau immense, ce n'était plus qu'une épave encombrante dont l'aspect tournait à l'obsession.

On a bien essayé pendant quelque temps de trouver une destination durable à ce monument cyclopéen, pour le conserver à l'admiration des générations futures. Les uns ont voulu en faire un vélodrome, d'autres un manège, une serre, une salle de réunion, que sais-je encore ? Mais l'énormité de l'objet a découragé toutes les initiatives. Le bibelot, décidément, était d'un emploi difficile. Comme les pieds de l'Auvergnat, il tenait trop de place...

Avec la Coupole disparaît le dernier vestige de l'Exposition de Lyon. Les restaurants, les édifices d'exposition, les palais coloniaux, les villages nègres ou annamites tout cela n'est plus qu'un souvenir déjà lointain. — Au printemps prochain, la nature impassible aura étendu sur les places où s'éleva cette cité éphémère la peluche verte de son manteau. Et les mamans, en promenant les enfants autour des pelouses, leur diront en manière de leçon de choses : — Ceci fut le Soudan, ceci fut Tunis, ceci fut l'Asie !

Et les bébés ouvriront de grands yeux étonnés, car ils ne verront plus là que du gazon et des fleurs...

Je viens moi aussi de faire mon tour de parc pour contempler, comme tout bon badaud lyonnais, l'écroulement de la Coupole. Ses débris forment un entassement chaotique. On dirait qu'un cataclysme a passé par là. Que de fer, que de fer ! dirait le bon Maréchal de Mac-Mahon si son ombre venait à quitter les Champs élyséens pour faire un tour à la Tête-d'Or...

Mais ces ruines, au moins, sont provisoires. L'habile entrepreneur de cette vaste démolition, M. Haour, aura vite fait de débarrasser le sol de ces arcs boisés, jadis si orgueilleusement dressés vers le ciel, et qui vont devenir des riblons.

On n'en peut malheureusement pas dire autant d'une autre ruine, oubliée dans un des plus jolis coins du Parc et qui étale ses dégradations ignobles, ses clôtures éventrées, son aspect miséreux et triste, sans que personne songe à faire disparaître de notre bois de Boulogne lyonnais cette tache lamentable. C'est le Vélodrome que je veux dire. Cela ne sert à rien, cela est laid : tout le monde s'accorde là-dessus. Mais personne ne bouge pour le faire enlever.

Je signale cet oubli inexplicable à la municipalité, dans l'espoir qu'elle daignera profiter du nettoyage d'ensemble indispensable au parc, pour lui rendre, dans cette partie, qui est une des plus pittoresques, son aspect primitif depuis trop longtemps déshonoré...

Les journaux ont annoncé la mort subite du prince Lubomirski, qui fut mêlé au mouvement littéraire d'il y a trente ans. Un souvenir plaisant est resté de sa vie d'écrivain, — car de ses oeuvres je ne crois pas qu'on en connaisse même le titre, — et ce souvenir est une épigramme qui lui fut décochée par Aurélien Scholl.

Il y avait eu entre eux une polémique et Scholl la termina par ce mot de gavroche : ... Que penser de cet homme qui se dit noble, qui prétend avoir des lecteurs, qui se croit beau et qui passe pour Polonais ? En réalité il n'est pas prince, il n'est pas lu, il n'est pas beau, et peut-être même n'est-il pas, mirski !

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