Causerie Lyon, 24 juillet 1895.
Nous donnons plus loin les paroles de la scie nationale, En voulez-vous t'y des zéhornards, qui obsède présentement tous les Parisiens, mais dont le fredon ne hante pas encore nos cervelles provinciales, les cafés-concerts n'ayant pu, en raison de leur fermeture d'été, répandre ce chef-d'oeuvre parmi nous.
Grâce au Progrès Illustré, cette déplorable lacune sera désormais comblée. Il était, en effet, profondément humiliant pour la seconde ville de France d'ignorer le texte authentique d'une chanson désormais aussi célèbre que ces immortels refrains qui ont affolé des générations entières : L'Amant d'Aimanda ; Qui qu'a, qui qu'a vu Coco ? ; Tiens voilà Mathieu ! ; La Famille Bidard et Tararaboum di hay !...
Après avoir lu et apprécié comme il convient tous les couplets des Zhomards, après avoir surtout dégusté lentement et délicieusement les trois vers fameux du refrain :
En youlez-vous t'y des z'homards ?Ah ! les sales bêtes !Y z'ont du poil aux pattes...le critique le plus sévère est obligé de reconnaître que la nouvelle scie ne le cède en rien à ses plus illustres devancières quant à l'ineptie. Sans doute on peut reprocher à quelques passages d'être compréhensibles. De loin en loin même, ce défaut, si grave pour le genre, s'exagère jusqu'à devenir une intention humoristique comme dans le couplet où messieurs les « Socialos » sont comparés à
Des z'homards qu'ont pas besoin d'cuire,Y sont d'un rouge à faire frémirJusqu'à ce qui deviennent des Aristos !
Mais toutes, les critiques tombent devant l'idéale imbécillité du refrain. Rien dans les scies rappelées plus haut, n'atteint cet incomparable monument d'ineptie. Et c'est là ce qui fait et explique-le succès de la chanson...
Car le Français né malin n'a de ces pâmoisons et de ces engouements que pour les productions qui reculent les limites du crétinisme. Quand on lui donne, sur un air facile à retenir, un refrain qui n'a aucune espèce de sens, il se met aussitôt à le chanter avec le plus contagieux enthousiasme. Ce faisant, il est d'ailleurs parfaitement bête, et il ne l'ignore point. Mais il lui plaît d'être bête de la sorte, et plus il l'est, c'est-à-dire plus il répète qu'ils « z'ont du poil aux pattes » plus il est content... Et c'est ainsi qu'il consolide aux yeux du monde sa réputation de peuple le plus spirituel de la terre !
Avec l'approche du mois d'août nous sommes en pleine période de distribution de prix et d'examens. Les élèves studieux vont recevoir, à l'orgueilleux émoi de leurs mamans, et au son de la Marseillaise en présence des autorités assemblées, les couronnes de papier doré et les volumes reliés en veau par lesquels l'Université consacre leurs mérites en version, en thème ou en mathématiques. Lorsque je me reporte à l'époque déjà lointaine
.... où rêveuse bourrique,Grand diable de seize ans, j'étais en rhétorique,je dois reconnaître que la joie d'être lauré en ces distributions solennelles n'était rien pour moi à côté de l'enivrement que me causaient les vacances. J'aurais donné tous les prix, même celui d'excellence, pour avancer de quinze jours le temps de la clé des champs...
Même sensation à l'heure véritablement tortionnaire de l'examen du baccalauréat. Certes, la satisfaction d'être nanti du précieux parchemin sans lequel en France on n'est rien, et avec lequel on se croit bon à tout, parut agréable à mon âme de potache. Mais combien plus douce la certitude de fuir la geôle de l'internat, d'échapper à une neuvième année de lycée !
A propos de cet examen de bachelier, à la fois rêve et terreur de tous les adolescents couvés par lalma parens, on a rappelé l'extrême sévérité du professeur Baillon qui vient de rendre à Dieu son âme de botaniste. Ce savant distingué, auquel il semble que la fréquentation des fleurs aurait dû faire une âme suave, était particulièrement rébarbatif pour les candidats. On employait entre étudiants l'expression être « baillonné » comme synonyme de « être collé » ou « être retoqué ». Et de plus la verve sarcastique du professeur terrorisait les malheureux cancres...
Un jeune étudiant, fils d'un richissime financier, passait un jour devant lui son premier examen de doctorat. Sur une question assez simple du professeur, le jeune homme reste coi... comme le commun des candidats : Allons, fait le rude examinateur, il faudra faire des économies pour acheter un manuel de botanique !
Une autre fois, c'est un étudiant de vingtième année, véritable pilier de brasserie, empestant la nicotine, qui comparaît devant le professeur redouté. Celui-ci lui donne une feuille de tabac à reconnaître. Le candidat reste obstinément muet, Voyons, vous faites un usage quotidien de cette plante, vous paraissez même en faire une consommation immodérée.
L'étudiant eut un éclair : J'ai trouvé, s'écria-t-il triomphalement, c'est l'absinthe !
Cependant, on cite un autre examinateur qui a laissé une réputation de férocité encore plus grande, le légendaire Fourcy. On disait de lui, et le jeu de mots était, paraît-il, fort juste, qu'avec ce barbare la « question » devenait bel et bien une « torture ».
Mais quelquefois la victime se rebiffait. On a gardé le souvenir de cette riposte à lui faite, demeurée célèbre dans les fastes de la Sorbonne :
Un jour, un candidat s'étant montré particulièrement ignorant, le professeur hêle l'appariteur et s'écrie : Allez donc chercher une botte de foin pour monsieur !
Mais le candidat blessé au vif, recouvra subitement la parole pour répliquer : Apportez-en deux; j'invite monsieur à déjeuner !