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Causerie Lyon, 7 mai 1895.

Tout est à la peinture en ce mois consacré aux Salons. Je ne dis pas cela pour notre Salon lyonnais, médiocre manifestation d'art qui, cette année, a été plus négligée encore que d'ordinaire, par suite de sa relégation tout là-bas au fond du parc de la Tête-d'Or. Il faut avoir un amour immodéré des tableaux à l'huile pour faire ce lointain voyage.

Mais à Paris les deux Salons des Champs-Elysées et du Champ-de-Mars n'ont jamais eu plus de vogue. On s'est écrasé au vernissage. Et depuis l'ouverture les immenses galeries où s'allongent des kilomètres de paysages, de portraits, de scènes historiques et de natures mortes, sont envahies par un nombreux public d'autant plus enthousiaste que la plupart du temps il n'y voit goutte et qu'il serait fort capable, n'était la signature, de confondre le Titien avec M. Bouguereau... Oh! les admirables conversations à la Joseph Prudhomme entendues souvent devant les tableaux sensationnels qui attirent la foule !

Sait-on à quelle époque remonte l'institution des Salons ? A Colbert qui l'organisa en 1663. C'était alors une toute petite exposition, — quelques dizaines de toiles et de statues. Aujourd'hui il y en a des milliers. Le livret date de 1673. Il n'avait que cinq ou six pages. Il en compte présentement quatre cents pour chacun des deux Salons. A quel niveau de gloire artistique, plus rayonnant encore que celui de la Grèce, n'aurions-nous pas atteint si la qualité des oeuvres s'était accrue dans la même proportion que la quantité !

Un de nos confrères a eu la curiosité de relire les antiques livrets des Salons d'autrefois. Il en a exhumé des choses charmantes. Exemples :

Salon de peinture de 1796 :

N° 220. — Portrait de C.-J., Gelé à Vins- | tant où il reçoit le brevet d'imprimeur de la Gendarmerie nationale ; l'artiste en a peint le contenu et le cachet.

N° 14 (dessins). — Une mère joue avec son enfant et un chien... Le père contemple ce tableau... Il jouit.

Salon de 1798 :

N° 284. — Le Médecin des urines. Une jeune fille et son amant le consultent et attendent avec impatience la décision du docteur. Peint par LEROY (François).

N° 325. — Une jeune femme assise sur un morceau de rocher et se livrant à la mélancolie. Par PALLIÈRE (Etienne).

Salon de 1800 :

Mlle GIRARD, n° 153. — Un enfant sur les genoux de sa mère; sa bonne lui fait lécher les pieds par son carlin.

Salon de 1817 :

Mme CHAUDET, n° 152. — Portrait d'enfant portant le sabre de son père.

Je ne sais quel fut le succès de ces oeuvres d'art. Mais il faut reconnaître que les sujets en sont exquis et la description d'une saveur humoristique d'autant plus délicieuse qu'elle est involontaire. C'est grand dommage que les peintres n'aient pas conservé ce style pour les livrets d'aujourd'hui. Ce serait plus amusant encore que les meilleures cocasseries de Grosclaude ou de Courteline !

Lundi, en allant aux courses du Grand- Camp, on a beaucoup admiré dans le service d'ordre l'aspect décoratif des gendarmes à cheval. Ils sont en effet superbes, ces bons gendarmes, avec le bicorne en bataille sur leur, chef de braves soldats. Mais, hélas ! il est question de leur enlever ce chapeau légendaire !

Les journaux militaires annoncent en effet que le ministère étudie la transformation des coiffures gendarmesques en un shako ou un képi avec plumet. Je veux croire que les bureaux de la guerre reculeront devant ce sacrilège. Sans son chapeau, le gendarme ne sera plus le gendarme. Tel un roi dépouillé de sa couronne, tel un pontife privé de la tiare, tel Samson veuf de sa chevelure. Car le chapeau du gendarme est mieux qu'un couvre-chef, plus même qu'un symbole — c'est une institution...

Quel prestige restera à l'honnête et courageux Pandore quand il sera coiffé comme le commun des militaires ? Avec le bicorne, redoutable cauchemar des malandrins, le gendarme conserve cet aspect olympien qui fait de lui le meilleur rempart de la société. Sans le bicorne, ce n'est plus qu'un garde champêtre.

De grâce, monsieur le Ministre, vous qui n'avez pas le flair d'artilleur, mais qui êtes un homme d'esprit, laissez, laissez le chapeau aux bons gendarmes !

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