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Causerie Lyon, 23 avril 1895.

Le voilà bien cette fois le coquin de Printemps ! Il est venu tout d'un coup, presque sans transition, succédant, avec son cortège adorable de verdures et de fleurs, au plus maussade des hivers.

Mais qui pourrait avoir la prétention d'imaginer des choses inédites sur ce thème éternellement ressassé du renouveau ! Tous les poètes ont répandu à pleines mains en son honneur les rimes d'azur et d'or et les vers où frissonnent les ivresses. D'autres écrivains ont fait couler à flots pour sa gloire les proses riantes au verbe évocateur. Dès l'origine des temps, depuis les pures strophes du Ramayana, toujours jeunes malgré leur dix mille ans, jusqu'aux alexandrins sonores de Victor Hugo, l'humanité s'est complue à chanter la renaissance annuelle de la Nature.

Il semble que le soleil qui fait craquer les bourgeons et s'ouvrir les pistils sache encore trouver le chemin du coeur de l'homme. Le printemps des choses est aussi le printemps des âmes. Celles que l'hiver définitif de la vieillesse n'a pas glacées pour jamais s'épanouissent comme les boutons de l'églantier. Et la sève des illusions les soulève et les enivre.

Le Dante l’a dit en un distique divin :

O printemps, jeunesse de l'année !O jeunesse, printemps de la vie !

Avec le mois de mai revient aussi le temps des grèves et des manifestations populaires. Etrange antithèse que celle qui fait gronder les orages sociaux sous les horizons clairs de Floréal ! A Lyon nous avons eu la grève des terrassiers de Jonage. A Paris la grève des omnibus. Paris sans omnibus, ce n'est point gai pour ceux qui n'ont pas le moyen de s'offrir un char numéroté et qui sont obligés de faire leurs courses pedibus cum jambis.

A la dernière heure on annonce une autre grève sur le point d'éclater, toujours dans la capitale, celle des respectables dames préposées aux chalets de nécessité. On frémit à l'idée des perturbations intestines qu'entraînerait une pareille grève, si le bruit en était confirmé.

Nous reconnaissons que peu de travailleurs sont aussi dignes d'intérêt que ces utiles et modestes employées. Les malheureuses sont obligées de passer quatorze heures par jour dans ce local odoriférant, plus souvent éclairé par la lune que par le soleil !

Et pour comble de souffrances, jamais de conversations avec des visages, comme dirait M. Purgon ! Et puis de mauvais plaisants, des fumistes sans pitié qui leur jouent des tours. Récemment, place de la Charité, l’édicule — ah! le joli mot pour un tel usage ! — a été mis en émoi par un fâcheux loustic. Ce consommateur indiscret avait tiré un coup de revolver dans son box...

Terreur de la gardienne, qui se précipite, croyant à un suicide, et ouvre la porte du buen-retiro. Eh bien, quoi ? lui dit le monsieur du haut de son trône à dix centimes... Mais vous ne vous êtes pas tiré un coup de pistolet ? J'ai entendu un bruit formidable et insolite. Non ; il était naturel !

Mais quittons cette matière plus ou moins « louable » pour revenir aux omnibus. Le mot omnibus me met en mémoire une exquise repartie de Blanche d'Antigny. On parlait devant elle d'une jeune personne aux moeurs plus que faciles, affligée de l'étrange manie d'écrire à tous ses amants des lettres innombrables où fourmillaient les fautes d'orthographe : Fort bien, s'écria Blanche ; c'est un omnibus qui abuse des correspondances !
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