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Causerie. Lyon, 20 Mars 1895.

Les ovations qui ont accueilli à Paris et dans la France entière le départ des volontaires de Madagascar se rendant à Sathonay, ont été un réconfort pour le pays. Venant après d'odieuses séances de la Chambre, où les révolutionnaires avaient soulevé l'indignation publique par leurs déclamations sacrilèges contre la Patrie, l’enthousiasme excité par nos petits pioupious a pris le caractère d'une manifestation solennelle, d'un désaveu unanime infligé par la nation à une secte qui choque ses plus chers sentiments. Et ce qu'il y a de plus significatif dans cet élan spontané, c'est que nulle part il n'a été plus vibrant et plus chaleureux que dans les quartiers populaires comme le faubourg Saint-Antoine, où les internationalistes se piquent de régner sans partage...

Le peuple de France est donc resté fidèle aux traditions du passé. Il a gardé dans son vieux sang gaulois toute la flamme des nobles chevauchées d'antan, et dans son coeur loyal tous les fiers sentiments qui ont fait si grands tant de héros : Vercingétorix, Jeanne d'Arc, Turenne, Carnot, Marceau, Kléber, Hoche et Chanzy. On peut faire résonner a ses oreilles toujours sensibles aux paroles sonores les sophismes funestes des rhéteurs à la Jaurès. Il semble qu'il les écoute un moment, parce qu'ils ont parfois l'éclat trompeur des mirages... Mais vienne un régiment qui passe, tambours et clairons en tète, avec le drapeau aux trois couleurs emblème des sacrifices et des gloires, et alors tout ce peuple, qu'on a pu croire égaré, entonne la Marseillaise, embrasse les soldats et voudrait partir avec eux, semblable aux « va-nu-pieds superbes » de 1793 marchant, comme a dit le poète, « sur le monde ébloui »...

Des esprits chagrins auront beau dire que c'est là bien du lyrisme à propos d'une chose qui n'en vaut pas la peine... Les patriotes ont droit de se réjouir de ce réveil inouï de l'esprit militaire, dans un pays que certains représentent comme déchu de ses vertus guerrières. Et soyez sûr qu'à Berlin on a entendu et noté l'écho des vivats formidables qu'ont fait éclater les volontaires de Madagascar.

Lyon n'a pas eu l'occasion de faire sa partie dans ce concert national. Les hommes du 200e sont arrivés à Vaise dès l'aube et se sont rendus à Sathonay par les chemins de banlieue. Mais c'est depuis huit jours un perpétuel pèlerinage au camp. Dimanche dernier, la moitié de Lyon, profitant du premier sourire de soleil, s'est rendue à Sathonay pour voir ceux qui auront l'honneur de se battre bientôt pour la France.

Il est d'ailleurs admirable, ce 200e. Physiquement et moralement c'est une troupe d'élite. Tous ces troupiers sont considérés par l'armée comme des privilégiés, puisqu'ils vont à la bataille. Mais ce privilège ils le méritent par la tenue, l'entrain et la discipline. Depuis qu'ils ont le numéro « 200 » au collet, me disait un de leurs officiers, nos hommes nous ont apparu transformés. Toujours ils ont été de bons soldats parmi les meilleurs, mais à partir de ce moment-là ils sont devenus des modèles. Jamais on ne reverra un régiment comme le 200e. Aussi combien sommes-nous fiera de le commander !

De leur côté, les soldats sont pleins de confiance dans leurs chefs, qui ont été choisis parmi la fleur de toute l'armée. Les Duchesne, les Metzinger, les Gillon, les d'Hennezel, sont de vrais manieurs d'hommes... Le drapeau que le Président de la République va remettre au 200e sera donc confié à des vaillants qui sauront lui préparer un baptême de gloire.

M. Félix Faure ne viendra pas à Lyon sous prétexte que la seconde ville de France vaut une visite spéciale. Si le mot n'était pas irrévérencieux, je dirais que c'est là un joli « lapin administratif ». Un bon tiens vaut mieux que deux tu l'auras, dit le fabuliste. Les Lyonnais auraient donc préféré saluer ce mois-ci, dans leur cité, le nouveau président.

Espérons pourtant que la promesse présidentielle sera réalisée un jour. Le successeur de M. Casimir-Perier paraît en effet ne pas craindre sa peine et ne s'effrayer point des voyages et des visites officiels. On applaudit fort à ces sorties où il fait toujours bonne impression. Et déjà, à ce propos, surgissent les légendes et les mots...

On raconte, par exemple, que dans une récente visite à un hôpital M. Faure donna gentiment un fin cigare à un infirmier : Vous le fumerez à ma santé, mon ami, dit le premier magistrat de la République. Oh ! oui, monsieur le Président, répond le brave homme, je le fumerai... toute ma vie !

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