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    Causerie

    Nos théâtres municipaux subissent à Lyon une crise assez grave. Ils sont atteints de la maladie la plus inquiétante qui puisse frapper ces sortes d'entreprises : le public y vient peu.

    Les causes de ce marasme sont d'ordre divers, mais après les avoir mûrement pesées, en est obligé de convenir que la grève des spectateurs s'explique assez bien. L'an passé, la désaffection a commencé par la faute de l'ancienne direction. Un seul spectacle intéressant a été monté au cours de la campagne : ce fut la Walkyrie dont le succès a été considérable et mérité. Mais c'est maigre pour toute une saison. Peu à peu le public s'est désintéressé du théâtre, il en a désappris le chemin au profit des cafés-concerts. C'a été le commencement de la décadence...

    Cette année son indifférence parait fâcheusement s'accentuer. Sans doute le mauvais temps y est bien pour quelque chose. II a fallu un certain courage depuis deux mois pour aller au théâtre au milieu de tous ces frimas. Cependant on a passé le pont pour aller à la Guillotière applaudir les pimpants spectacles de M. Verdellet. La vraie raison n'est donc pas là.

    Il faut évidemment le rechercher dans le choix des oeuvres. M. Campo-Casso, malgré sou expérience et son flair, s'est trompé en faisant une troupe particulièrement en vue du vieux répertoire. Malgré Duc et Mme Fiérens, qui sont pourtant des protagonistes de premier ordre pour la musique datant de l'invention des lampes Carcel, ce genre là a fait son temps. Tout passe en ce monde, même la mode des airs de bravoure, des fioritures où s'étale complaisamment la chanteuse légère, des ut de poitrine jetés aux quatrièmes, comme les projectiles d'une catapulte, par le fort ténor campé devant le trou du souffleur. Il y a trop longtemps que le public voit arracher Guillaume à ses fers, entend le pif, paf, pouf du bon Marcel, et constate que Fernand reste seul avec son déshonneur, le tout sur des accompagnements « raplapla » dont les musiques de fanfare ne veulent plus. Il lui faut autre chose...

    Et cet autre chose on se refuse à le lui donner, ou tout au moins on semble ne pas le comprendre. Le livre des recettes du Grand-Théâtre indique pourtant de la façon la plus démonstrative que ce sont les opéras modernes, les drames lyriques de Wagner en tète, qui seuls ont fait des recettes. Est-ce que ce genre de critique — la critique du caissier — ne serait, plus celle dont s'inspirent les directions lyonnaises ?

    On s'expliquerait à leur louange ce dédain obstiné du bénéfice s'il s'agissait de faire oeuvre d'artiste, d'accoutumer le public aux formules de demain, de l'initier au progrès musical. Ce serait là un noble sacrifice. Mais on persiste à manger de l'argent pourquoi ? Pour exhumer l'harmonie chère aux oreilles d'Emile- Huicentrente, pour faire rebrousser chemin à l'art, pour exhumer un répertoire dont le moindre défaut est d'être mort...

    Mêmes erreurs aux Célestins. M. Campo- Casso a fait un coup de maître avec Coquelin. Nous avons eu, grâce à son initiative, grâce au talent prestigieux du grand comédien, trois mois de spectacles d'un niveau supérieur, faits pour charmer les délicats tout en attirant la foule. Mais après ? Là encore on s'en tient aux vieux procédés, aux traditions usées des directions précédentes : le gros drame ou la farce, la Closerie des Genêts ou l’Hôtel du Libre-Echange. Chose plus dangereuse : on n'a plus du tout de répertoire. On vit avec d'antiques mélos montés à la diable en attendant le vaudeville à succès. Et si le vaudeville à succès fait un four, ou ne fournit qu'une carrière médiocre, la maison en est réduite à végéter tant bien que mal, plutôt mal que bien.

    Cependant les Célestins ont été autrefois une mine pour nos directeurs. Le Grand-Théâtre, c'est une coûteuse villa, disait l'un d'eux, mais les Célestins c'est une bonne ferme !. C'était la vérité d'hier et ce sera celle d'aujourd'hui pour peu qu'on y veuille tâcher avec quelque initiative et un peu d'esprit de suite.

    Voyez ce qu'a fait M. Simon aux Variétés de Marseille ? En réunissant une troupe complète, — comédie, drame, vaudedeville, — avec des artistes de talent trop inoccupés à leur gré dans les théâtres parisiens, en montant hardiment et soigneusement toutes les pièces nouvelles intéressantes, l'habile imprésario a créé un répertoire et un public ; il y trouve à la fois honneur et profit. Dans son dernier feuilleton, Sarcey en donnait à nouveau l’élogieux témoignage, en désignant l'entreprise de M. Simon comme un modèle pour les théâtres de nos grands centres provinciaux.

    Avec les ressources lyonnaises, il est hors de doute qu'on pourrait obtenir des résultats au moins équivalents. Le Grand- Théâtre devrait être comme la Monnaie de Bruxelles, une manière de succursale de l'Opéra, un théâtre d'application pour les oeuvres inédites du drame lyrique moderne. Et ce n'est pas non plus se montrer chimérique que de vouloir les Célestins au niveau des Variétés de Marseille.

    Voilà le programme. M. Campo-Casso, qui n'en est plus à faire ses preuves, saurait sans doute le mettre en pratique. Seulement, il faut le vouloir !

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