Sommaire :

Causerie Lyon, 31 janvier 1895.

Quand Musset écrivit son fameux vers :

Le scandale est de mode, il se relie en veau,
il fit par avance l’épitaphe de cette fin de siècle, que cependant il ne connut pas. Chaque jour amène ses scandales d'ordres divers. Peut-être cependant ne sont-ils pas plus nombreux que jadis. Mais l'immense diffusion de la presse et le flair indiscret des reporters n'en laissent passer aucun inaperçu. De sorte que le bon bourgeois qui fait sauter le matin la bande de son journal peut se dire presque à coup sûr : Qui a-t-on arrêté aujourd'hui ?

Ce sont surtout les financiers interlopes qui ont maille à partir avec le juge d'instruction, le « curieux », comme disent en leur argot pittoresque et expressif les repris de justice. Ce qui ressort de la plupart de ces affaires, c'est d'abord la parfaite canaillerie de ceux qui les organisent, mais aussi la naïveté prodigieuse de ceux qui leur confient des placements, sans s'apercevoir qu'ils seront indubitablement à fonds perdus...

C'est Paul de Kock qui imagina vers 1830 le type populaire de Monsieur Gogo, immortel comme la bêtise humaine, et dupé éternellement par l'homme de proie, le Robert-Macaire de la finance. Plumé, floué et dépouillé, Gogo reviendra toujours se faire plumer, flouer et dépouiller de la même façon. Sa crédulité est inépuisable, comme l'espérance du joueur qui cherche une fortune impossible dans les amours de la dame de pique. Il n'est pas d'affaire chimérique, d'entreprise insensée, comme le canal de l'Himalaya ou le chemin de fer de là terre à la lune, qui ne trouve des actionnaires enthousiastes, pour, peu qu'on leur promette cent pour cent d'intérêt et des tirages avec de gros lots.

M. Gogo est si jobard que ses mésaventures prêtent parfois à rire, surtout quand il est riche et qu'il n'a cherché qu'à augmenter sa fortune par des moyens faciles et parfois douteux. Mais il n'en va pas de même lorsqu'il s'agit de la petite épargne, des bas de laine emplis sou à sou par le travailleur économe. Ceux-là Robert-Macaire ne les ménage pas non plus. Et cependant ils sont prudents, ils placent la plupart du temps leur argent en des affaires qui semblent sérieuses, qui ont pour base des combinaisons paraissant de tout repos, comme par exemple l'Avenir des Familles, dont le krach récent vient de désoler à Lyon tant de braves gens.

L'enseignement à tirer de toutes ces filouteries, c'est que les petits capitalistes devraient se méfier comme du feu des banques et des sociétés financières. Ils sont trop peu versés dans ces sortes d'affaires pour pouvoir défendre leur argent. Le mieux, c'est encore d'acheter de la rente, des obligations de chemins de fer ou encore les combinaisons d'assurances sur la vie, la caisse d'épargne et la caisse nationale des retraites. Les intérêts ne sont pas gros, mais au moins on est certain de ne pas confier le fruit de son travail, les économies sacrées devant assurer la paix de la vieillesse ou l'avenir des enfants, à des aigrefins pour lesquels la finance n'est que l'argent des autres.

Il est mort beaucoup d'évêques depuis quelques jours. C'est une épidémie qui sévit sur la mitre et le camail...

On prête à l'un de ces prélats décédés, homme d'esprit à ses heures, le mot suivant : Très recherché dans les châteaux de son diocèse, il assistait un jour à une réception donnée en son honneur. On lui présente la marquise de X..., venue là avec une robe de bal outrageusement décolletée et une traîne qui n'en finissait plus. L'évêque fait un faux pas, marche sur cette queue démesurée et la déchire. Tête désagréable dé la dame. Ce n'est pas ma fauté, marquise, fit Monseigneur. Ce fâcheux accident ne serait pas arrivé si vous aviez mis un peu plus d'étoffe en haut et un peu moins en bas !

Cet évêque, apparemment, n'était pas de l'école du pape Grégoire XVI, lequel ne s'effarouchait point pour si peu. Causant un jour avec un cardinal, vint à passer près d'eux une grande dame romaine fort belle ; sur sa gorge découverte s'étalait une croix d'or. La belle croix ! dit le cardinal. Ah! s'écria le pape, le calvaire est encore bien mieux que la croix !

droit d'utilisation : Licence Ouverte-Open Licence

Retour