Sommaire :

Causerie Lyon, 17 janvier 1895.

L'Europe nous enviait déjà le Petit- Sucrier. Voici maintenant qu'une autre célébrité du même genre vient d'apparaître dans le monde doré des fils-à-papa. Les deux font la paire ! C'est l'organe officiel des joies boulevardières, Ia gazette complaisante où toutes ces dames font vis-à-vis au Vieux-Carafon et à l'intrépide Vide-Bouteilles, qui a fait connaître à l’univers attentif le « Petit-Fondeur ». Comme le jeune Lebaudy, il porte un nom connu dans la haute industrie. Seulement, il est fils de fondeur, au lieu d'avoir pour ancêtre un sucrier. Mais ce rejeton des Cail est venu au monde, lui aussi, avec des cailles toutes rôties, représentées par une jolie collection de millions.

Dans l’Aventurière, Annibal jure que les millions sont d'agréables personnes :

…On n'en cite pus un,Qui d'aucune façon ait fait tort à quelqu'un !

Cela est vrai dans la plupart dès cas, et je n'aurai garde de contester ce serment d’Annibal. Le Petit-Fondeur vient pourtant d'écopper rudement à cause de ses millions. Toujours à l'exemple de Max Lebaudy — pour l'instant tringlot à Fontainebleau — comme chacun sait, il est chasseur à cheval à Marseille. A Noël, il eut une permission de six jours dont il profita pour venir se retremper un peu parmi ses amis, les plus joyeux fêtards de la capitale. C'est là qu'eut lieu le fameux réveillon qui à consacré la notoriété du Petit-Fondeur, grâce à cette incomparable action d'éclat étalée dans la presse spéciale : une rivière de cent cinquante mille francs donnée à une jeune vieille- garde, Mlle Liane de Pougy.

Hélas! instrument de sa gloire, la fameuse rivière fut aussi celui de sa perte. Il s'y noya ! Car n'ayant que six jours de permission, il fut si bien enlacé par cette Linné — tel don José avec Carmen ! — qu'il en oublia le régiment et qu'il est aujourd’hui à cheminer à pied de brigade en brigade, entre deux gendarmes, sur la route de Marseille où il va passer en conseil de guerre pour absence illégale.

M. Prud'homme ne manquerait point de faire remarquer que si le Petit-Fondeur avait été un petit piou-piou ordinaire au lieu d'avoir beaucoup de fonte dans ses bottes, il n'aurait pas pu offrir avec sa solde d'un sou par jour une rivière de diamants à une horizontale, — d'où cette conséquence qu'il en coûte parfois très cher d'avoir des millions et d'en faire un usage aussi imbécile.

Il y a encore une autre moralité à tirer de cette aventure : c'est que l'égalité n'est pas toujours un vain mot. Le Petit- Sucrier et le Petit-Fondeur ont beau être millionnaires, le premier n'en est pas moins obligé de passer la jambe à Thomas et de coucher à la salle de police comme les camarades. Quant au second, plus, éprouvé encore, il va payer d'une tournée à Biribi ses cascades retentissantes, perpétrées au mépris de la Consigne.

Pauvre ou riche, simple électeur ou député, tout le monde sac au dos ! Voilà une formule qui a du bon — n'en déplaise à M. Mirman.

Lohengrin vient de reparaître sur l'affiche du Grand-Théâtre. A cette nouvelle, le public lyonnais, saturé des vieux airs « raplapla » de l'ancien répertoire, et ramené de force depuis trois mois au cycle musical d'Emile Huicentrente, s'est écrié d'ensemble : Enfin, nous allons donc entendre un peu de musique !

Et de fait, cette reprise a été une très intéressante soirée. Avec sa voix d'un timbre si clair, Affre est un Lohengrin très supérieur à, tous ceux qui l'ont précédé sur notre scène lyrique. Mlle Marcy lui a donné la réplique très brillamment, suivant les bonnes traditions de l'Opéra. Mais si vif et si mérité que, soit son succès, elle n'a pas fait oublier Mlle Janssen, l'Elsa des années précédentes, dont la grâce rêveuse et l'organe limpide s'alliaient si heureusement à la pensée musicale du drame.

Le public a retrouvé avec joie ce noble et chevaleresque Lohengrin qui n'est assurément pas la plus élevée des oeuvres de Wagner, mais qui en restera la plus populaire. Que de choses nouvelles, séduisantes ineffablement, on découvre à chaque audition, dans cette trame orchestrale qui est comme un océan d'harmonies...

Il paraît que la direction n'a pas encore arrêté son choix sur le grand opéra nouveau à donner cette saison. Pourquoi ne pas monter s Siegfried, la suite de cette Valkyrie qui fut si fort goûtée l’an Passé ? Le Grand-Théâtre y trouverait sûrement honneur et profit.

droit d'utilisation : Licence Ouverte-Open Licence

Retour