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Causerie. Lyon, 3 janvier 1805.

La librairie, on le sait, subit une crise. Là, comme, en tout, il y a surproduction. Si les choses continuent de ce train, il y aura bientôt plus d'auteurs que de lecteurs. Savez-vous qu'il paraît, en moyenne, rien qu'à Paris, plus de dix romans par jour ? Comment s'étonner que la plupart soient parfaitement ignorés du public et restent pour compte à l'éditeur !

Parmi les livres se vendant encore assez bien malgré ce marasme, il faut citer ceux qui parlent des choses du théâtre et des comédiens. Car rien n'amuse et n'intéresse nos contemporains comme les échos de Cabotinville. On en arrive même à faire aux procès du Pétomane les honneurs d'une retentissante publicités…

Peut-être verrons-nous paraître bientôt les Mémoires de cet artiste distingué... qui a fait quelque bruit dans le monde. En attendant, les publications se multiplient où sont relatés les faits et gestes des gens de théâtre. Dans l'une d'elles, j'ai lu et retenu un assez joli trait de présence d'esprit attribué à Gobert, un artiste qui eut son heure de célébrité an temps déjà lointain de la vogue du vieux Cirque-Olympique.

Gobert jouait dans une pièce militaire le rôle de Napoléon Ier, et, chaque soir, la salle croulait sous les applaudissements quand on le voyait apparaître avec le petit chapeau et la redingote grise.

Au second acte, l'Empereur recevait des mains d'un aide de camp une assez longue lettre destinée à être lue tout haut devant son état-major. Gobert ayant une détestable mémoire, on avait bien soin de lui remettre un papier où le texte à lire fût tout entier reproduit.

L'aide de camp était joué par un acteur nommé Gauthier, le loustic de la maison, grand amateur de fumisteries. Il imagina donc, un beau soir, de remettre à Gobert une simple feuille de papier blanc au lieu de la lettre écrite. Le moment venu, il entra en scène et remit traîtreusement à son empereur le pli fatal qui devait le faire bafouiller...

Gobert prend la lettre, la décacheté et, s'apercevant du tour, la rend aussitôt à Gauthier en lui disant : Lisez vous-même, général !

Pris à son propre piège, le trompeur trompé perdit la tête. Il ne savait pas un mot de la lettre, il ne put même pas inventer et fut sifflé outrageusement. Quant à Gobert, cette riposte du tac au tac lui a valu une certaine notoriété dans le monde des « M'as-tu-vu ».

Décidément les histoires de Marseillais sont inépuisables. Un ami tout frais débarqué de la Cannebière m'en rapporte deux qui sont de bonnes tartarinades :

Un Marseillais, retour de je ne sais plus quelle région lointaine, raconte à un ami ses impressions de voyage : Oh ! quel pays, mon bou ! Plus beau que Marseille ? Cent fois. Allons donc, plus de cafés qu'à Marseille? Dix fois plus! Plus de soleil ? Du soleil! Il y en avait partout, même à l'ombre !

La seconde anecdote se rapporte à un procédé particulier de direction des ballons imaginé par un aéronaute de Marseille : Mon ballon, s'écrie cet émule heureux du capitaine Renard, tel je le conduis où je veux ! Pas possible ? Je parie... Où voulez-vous que j'aille avec lui ? A Marseille. Entendu!

Le descendant des Phocéens, muni de son ballon soigneusement empaqueté, prend le train après l'avoir mis aux bagages. Le lendemain il arrive sans encombre à Marseille, toujours avec son aérostat, et s'écrie triomphalement : J'ai gagné !

Jacques Mauprat.

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