Causerie
L'Exposition va fermer ses portes au milieu d'une affluence de visiteurs plus considérable que jamais, comme si un regain de curiosité poussait les foules au parc de la Tête-d'Or. Il est d'ailleurs adorable, notre bois de Boulogne lyonnais, avec ces colorations où l'automne a mis les plus beaux tons de sa palette multicolore, avec ces massifs de peupliers d'où se détachent les feuilles jaunies semant les gazons de sequins d'or, avec le charme discret des ciels bleu tendre et du soleil pâli...
Mais le public n'est guère impressionné par ce côté un peu mélancolique des choses finissantes. Ce qui lattire, c'est toujours l'Exposition elle-même, accumulation d'oeuvres grandioses, artistiques ou ingénieuses par où s'est affirmé, une fois de plus, le génie français.
Aussi bien, lheure est-elle venue d'établir le bilan définitif de cette entreprise tant discutée. Il vient d'être dressé avec compétence par le maire de Lyon et le ministre du Commerce, et l'impression qui se dégage de cette étude définitive, c'est qu'en somme l'Exposition est pour la ville de Lyon un grand succès moral et matériel.
Sans doute, on peut critiquer à juste titre certains points de détail dans l'organisation et l'exploitation et aussi dans le fonctionnement des jurys. Mais quelle est l'Exposition qui n'a pas encouru ces griefs ? Qu'on nous montre celle qui a contenté absolument tout le monde ! A Lyon, comme à Anvers et à Chicago, il y a eu des erreurs et des mécomptes inévitables, mais l'entreprise elle-même, - malgré les revers les plus imprévus, en dépit d'une fatale catastrophe qui a mis en deuil la France et le monde, - n'en demeure pas moins, suivant l'expression de M. Lourties, la manifestation la plus belle qui ait jamais été faite en province, et beaucoup de capitales pourraient en être jalouses.
Voilà pour l'honneur. Quant au profit il suffit d'un chiffre pour en donner une idée exacte. Il y a eu plus de trois millions d'entrées, sur lesquelles deux millions environ doivent être attribués aux visiteurs étrangers. On peut admettre sans exagération que chacun d'eux a laissé en moyenne à Lyon environ vingt-cinq francs. C'est donc plus de cinquante millions que le seul mouvement des voyageurs aura fait gagner à la ville, sans compter l'énorme accroissement d'affaires commerciales et industrielles suscité par l'Exposition même.
Sans elle, Lyon était menacé d'une crise grave résultant de la baisse des soies : nous aurions revu sans doute les mauvais jours de 1884, dont les malheureux, et vaillants ouvriers de Lyon ont gardé un si cruel souvenir. N'est-ce donc rien encore que d'avoir à peu près écarté un tel danger ?
Beaucoup de Lyonnais pensaient sans doute à ces choses en voyant dimanche soir les dernières fusées du dernier feu d'artifice illuminer d'une lueur suprême l'horizon et les rives du lac. L'Exposition, elle aussi, va finir, après avoir brillé de tant d'éclat. Mais il en restera mieux qu'un souvenir. C'est une date glorieuse autant qu'utile dans l'histoire de Lyon « et une admirable prèface pour lExposition de 1900 » : C'est encore le Ministre du Commerce qui a prononcé ; ces paroles significatives que tous les gens de bonne foi retiendront comme un jugement solennel et définitif.
La vie a repris dans nos théâtres municipaux. Au Grand-Théâtre le lustre est à peine rallumé pour Romeo et Juliette, qui a été un enchantement, grâce aux délicieuses voix d'Affre et de Mlle Marcy. Pour le grand opéra il nous faut attendre avant de pouvoir formuler une appréciation sérieuse. Mais aux Célestins il faut convenir dès à présent que M. Campocasso a fait un coup de maître avec Coquelin.
Le public a repris le chemin de notre scène dramatique où depuis trop longtemps le spectacle se donnait devant des banquettes vides. Et, ce qu'il y a de particulièrement louable dans cette tentative si réussie, c'est que le succès a été obtenu avec des pièces d'une haute tenue littéraire, appartenant à un répertoire presque tout entier classique.
Depuis plus de six semaines, les Célestins réalisent de superbes recettes, et c'est Molière, Emile Augier ou Jules Sandeau dont le nom apparaît le plus souvent sur les affiches, tout comme au Théâtre-Français et à l'Odéon.
On objectera peut-être que c'est Coquelin et son prestigieux talent qui ont rendu possible ce tour de force, et que, lui une fois parti, il nous faudra retomber dans les ornières du vaudeville et du mélo. Rien ne prouve cependant qu'il ne restera pas quelque chose de l'élan donné. Et puis, n'est-ce pas déjà un résultat fort appréciable d'avoir fait de lart aux Célestins pendant deux mois, alors que d'ordinaire le cabotinage y règne souverainement et cruellement toutee l'année ?





