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    Causerie Lyon, le 7 août.

    Le procès de Caserio a été l'événement de la semaine. On a suivi avec passion les comptes rendus de cette cause célèbre, où le plus exécrable des crimes a été commis par un homme de vingt ans, presque un enfant. Les débats en eux-mêmes ont été assez ternes. Rien de nouveau n'a surgi dans l'interrogatoire et les dépositions des témoins. La genèse du crime comme son exécution étaient connues d'avance par les révélations de l'assassin qui s'était complu à en dire froidement tous les détails, avec le cynisme tranquille d'une âme invulnérable à toute émotion humaine.

    Désormais, la personnalité de Caserio apparaît clairement dans sa mentalité monstrueuse. C'est un fanatique, un illuminé farouche, un aveugle instrument de meurtre, comme les Séides du Vieux de la Montagne ou mieux encore comme Ravaillac.

    Il y a même entre l'assassinat d'Henri IV et celui du président Carnot de frappantes analogies qui montrent comment se renouvellent, presque pareils, les événements les plus inouïs de l'histoire. Ravaillac était un fanatique religieux, dont le bras fut armé par les sermons des prêtres ligueurs dénonçant Henri IV comme l'ennemi de la religion, répandant le bruit qu'il allait faire la guerre au pape et le déposer. Ravaillac, frère convers aux Feuillants d'Angoulême, prit au mot ces prédications enragées. Il crut sincèrement offrir en holocauste à Dieu et à l'Eglise un sacrifice qui leur serait agréable. Et c'est ainsi qu'il se mit en route à pied, et sans ressources, d'Angoulême à Paris, le jour de Pâques 1610, et qu'il tua à coup de poignard le bon roi Henri le 14 mai, après avoir entendu la messe. Il y avait dans le carrosse du Béarnais, rue de la Ferronnerie, les ducs d'Epernon et de Montbazon, les maréchaux de la Force, de Roquelaure, de Lavardin et le marquis de Mirabeau. Aucun ne vit le meurtrier donner le coup mortel. Ravaillac fut arrêté par des gentilshommes de la suite qui eurent mille peines à le soustraire à la vengeance de la foule.

    Quel étrange rapprochement, au bout de deux siècles et demi, entre le 14 mai 1610 et le 24 juin 1894 !

    On ne saurait imaginer entre deux crimes de plus entière similitude. Il n'y a que les noms et les dates à changer. Le mobile lui-même est identique : J'ai tué pour mon idéal a dit en cour d'assises Caserio avec son éternel sourire. J'ai tué au nom de Dieu affirmait Ravaillac. L'idéal mystique est seulement remplacé par l'idéal anarchiste. Et cet idéal a été prêché à Caserio par les ligueurs du jour, par les écrivains et les orateurs de l'anarchisme qui ont jeté dans ce cerveau ignorant les germes funestes dont l'évolution naturelle a été l'attentat de Lyon. Ah ! combien Me Dubreuil, l'éloquent bâtonnier, a eu raison de maudire ces éducateurs du crime social, lâches apologistes des plus vils forfaits dont ils ont soin de laisser à d'autres l'exécution et l'expiation !

    L'expiation ! Elle est proche pour Caserio. Va-t-il, aux approches de la guillotine, sur les marches de « l'abbaye de Monte-à-Regret » renier son acte infâme comme le fit Ravaillac dans les affres de l’écartèlement ? Peut-être. Mais sa quiétude presque heureuse entre les deux gendarmes des assises, sa vanité satisfaite au milieu de l'appareil solennel de la justice qui lui semblait une apothéose, font plutôt pressentir qu'il recevra le couperet fatal aussi froidement qu'il a entendu le verdict de mort Ce n'est plus un homme accessible aux sentiments de l'humanité. C'est un monstre artificiellement fabriqué par l'anarchisme, et jeté pour toujours en dehors de la nature.

    Nous apitoyer sur cette brute inconsciente, jamais ! Mieux vaut transmettre une fois de plus notre tribut de respect et de pitié à la Veuve de l'auguste victime qui dort au Panthéon. C'est à elle, à son deuil injuste porté avec tant de noblesse, à ses souffrances imméritées si profondément ressenties, que va l'hommage de la France et du monde...

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