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Causerie Lyon, le 26 juillet 1894.

Voyez-vous il n'y a rien de nouveau sous le soleil ! Nous n'avons rien inventé, si vieux que nous soyons, el nos arrière-grand- pères connaissaient tout ce que nous connaissons et peut-être même quelque chose de plus. Les découvertes que font chaque jour les savants sur les cités antiques en disent long à ce sujet. Et notre luxe même, ce luxe fou d'une civilisation parvenue à son apogée, est à peine du confortable a côté de la somptuosité de la vie chez les anciens...

On vient de découvrir, par exemple, une note de couturière remontant à cinq mille ans... Dans les ruines du temple de Nippour, en Chaldée, on a trouvé une tablette de pierre qui fut tout récemment déchiffrée. C'est un compte fort régulier, une facture détaillée au nom d'une grande dame de ce pays, par laquelle un fournisseur lui réclame le paiement de quatre-vingt-douze robes ou tuniques livrées en une seule fois, dont quatorze parfumées, à l'aloès, à la myrthe et à la casse. Le caractère particulier des hiéroglyphes et le système d'énumération permettent de fixer la date de ce document suggestif en l'an 2.800 avant Jésus- Christ.

Ainsi, il y a 5 mille ans, on connaissait déjà les grands couturiers et les grandes mondaines ! Et même ces Worth préhistoriques et ces élégantes cinq fois millénaires semblent tenir le record et de fort loin sur leurs émules du temps présent. Qu'on veuille bien, en effet, me montrer un grand faiseur capable de fournir quatre-vingt-douze robes d'un seul coup et une cliente assez chic pour se payer cette formidable commande ?

Après cette note de couturière, la plus ancienne du monde, voici qu'un journal savant, la Gazelle Médicale de Liège, intervient pour nous faire connaître la plus ancienne des ordonnances médicales. Elle a été déchiffrée par le professeur Macalisher de l'Université de Cambridge sur un papyrus égyptien, découvert dans les hypogées d'une pyramide.

Il s'agit d'une eau capillaire ( Déjà ! dirait Hervé ) destinée à faire repousser les augustes cheveux de la mère du roi Chata, deuxième roi de la 1ère dynastie égyptienne, lequel régna environ quatre mille ans avant Jésus-Christ. Voici cette respectable ordonnance qui ne date pas précisément d'hier :

Bourrelets de pieds de chiens .. 1Dattes ..........................1Sabots d'ânes ...................1
Faire bouillir dans l'huile et s'en frotter énergiquement le cuir chevelu.

Le professeur Macalisher ne nous apprend pas si cette étrange mixture a donné des résultats. Mais pourquoi pas ? Croit-on que le médecin de la mère du roi Chata eût enduit le noble chef de sa cliente avec un cataplasme, de dattes, de pieds de chiens et de sabots d'ânes, si ces spécifiques inattendus n'avaient pas une efficacité certaine ?

Nous recommandons cette recette antique et solennelle aux parfumeurs modernes. Qui sait si « l'eau de la mère du roi de Chata » ne va pas amener une l'évolution dans l'art de la capillophilie ?

L'huile de Macassar n'a qu'à se bien tenir !

Si le temps ne met pas toujours de grandes différences entre les moeurs des hommes, on peut en dire autant des latitudes. Ainsi, la petite annonce matrimoniale fleurit dans les journaux du Japon, tout comme dans certaines feuilles de notre boulevard, mais sous une forme combien plus poétique ! Jugez-en par cet extrait cueilli chez un confrère de Yeddo :

Une jeune dame voudrait se marier. Elle est très belle : son visage est rosé, sa bouche petite, ses sourcils ont la forme du croissant de la lune. Elle est aussi très riche. L'homme qu'elle épouserait doit être jeune, beau et bien fait et promettre de partager sa tombe...

N'est-ce pas délicieux ? Qui ne voudrait être Japonais pour aspirer à la main de cette poétique et jolie mousmè? Et surtout qui ne préférerait les grâces si fraîches de son stylo aux brutalités de nos annonces matrimoniales où on lit des déclarations dans ce goût :