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    Causerie

    La nation entière par son deuil profond, Paris par sa pieuse attitude et par les honneurs du Panthéon, viennent, en quelque sorte, de célébrer l'expiation solennelle de l'exécrable forfait de Lyon.

    Si le vers du poète est vrai :

    Rien ne nous rend plus grands que les grandes douleurs,
    la France fut vraiment grande en ces journées tragiques et funèbres. Et c'est une consolation de pouvoir le dire très haut.

    Mais il faut regarder la situation en face et en extraire les enseignements qu'elle comporte, pour que l'avenir ne ressemble plus à ce passé récent et odieux que nous voudrions pouvoir rayer de l'histoire. L'assassinat de Carnot est bien l'oeuvre de l'anarchie et le poignard de Caserio a été le vengeur de ces guillotinés infâmes qui s'appellent Ravachol, Vaillant et Emile Henry.

    Le misérable que la prison St-Paul abrite contre la fureur populaire a tout avoué. Il l'a fait d'autant plus volontiers qu'il considère son crirme comme oeuvre pie et qu’il est doux, maintenant encore, d’avoir tué le juste que nous pleurons. Son récit dénote une énergie effroyable, un sang-froid qui fait frémir, un cynisme déconcertant.

    On dirait la narration précise et soignée d'un élève studieux, écrivant pour son professeur sa journée du dimanche. Les moindres détails sont présents à sa mémoire, surtout ceux du voyage à pied de Vienne à Lyon, où il marchait infatigablement sur la route poudreuse brûlée de soleil, poussé et soutenu par l'ardent désir d'arriver à temps pour commettre l'assassinat. Il se souvient de tout : de l'aspect des villages traversés, des personnes qu'il a croisées en route, des propos des gens qui passaient, des bons gendarmes assis paisiblement devant leurs casernes... Et le forfait lui-même, il le raconte avec la complaisance d'un artiste qui parlerait de l'oeuvre aimée à laquelle il a voué sa vie.

    Dans sa prison le misérable est très doux d'ordinaire. C'est le petit Italien paisible dont parlent les journaux de Milan ; il était si gentil dans son enfance qu'il représentait aux processions le petit saint Jean, vêtu de peau d'agneau, le compagnon de jeux du divino bambino gesù... Mais dès qu'on lui parle socialisme et anarchie, le petit saint Jean redevient Caserio l'assassin. L'oeil étincelant, la figure sauvage, la lèvre frémissante, il récite avec exaltation des pages entières de brochures et de journaux révolutionnaires, qui lui servent de commentaires pour glorifier son crime.

    Caserio est donc un adepte du fanatisme anarchique de même que Torquemada, Jacques Clément et Ravaillac étaient des fanatiques religieux. Et comme les Caserio sont légion, comme ceux qui assassinent au nom de l'anarchie sont presque aussi nombreux que l’étaient jadis ceux qui tuèrent au nom du Dieu de paix, on voit combien il est urgent que tous les peuples civilisés fassent contre eux ce que j'appellerai la concentration universelle de la défense sociale.

    Avant tout, il est un devoir qui incombe à la France. C'est de fermer la bouche aux funestes apôtres, aux abjects doctrinaires de la révolution violente, dont les prédications détraquent la raison et arment le bras des meurtriers.

    Il n'est pas un seul attentat anarchiste où l'on ne retrouve cette relation de cause à effet, cette filiation directe entre la parole et l'acte, entre le faiseur de journaux ou de brochures anarchistes préconisant la propagande par le fait — et celui qui exécute par la dynamite ou le couteau. Si la loi sur la presse n'est pas refondue par le retour au droit commun, elle restera comme la brèche ouverte où fuiront le sang et la vie de la société...

    Enfin, il faut prendre des mesures générales d'une implacable énergie contre tous les séides de la secte barbare. Le seul fait d'être ou de se dire anarchiste équivaut à une déclaration de guerre contre la société. Vis-à-vis des compagnons de Caserio, la société est donc en état de légitime défense.

    Veut-on attendre avant d'agir que les attentats soient déjà commis ? Veut-on que les meilleurs, les plus grands et les plus purs des citoyens soient tous frappés, avant de demander aux justes lois les moyens d'atteindre préventivement ceux qui sont déjà coupables par préméditation et qui seront demain des assassins ? N'y a-t-il pas eu, dès maintenant, assez et trop de sang innocent répandu ?

    L'opinion réclame du gouvernement des actes immédiats et décisifs. Qu'on le sache bien, l'heure est grave pour la République. L'avenir de la démocratie, sans cesse menacée par la réaction qui spécule toujours sur les calamités publiques, se joue peut-être au moment présent. Ce pays a soif d'ordre et de réformes. Il est à la fois contre l'anarchie et pour le progrès. Et pour assurer l'essor du second il faut d'abord anéantir la première. Tel est le programme de salut public dont la France demande l’application à ses élus.

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