Causerie Lyon, le 17 mai I894.
Cette fois l'Exposition a pris sa revanche et la victoire est décisive. Il ne manquait aux précédentes fêtes que le soleil : il daigna sourire pendant ces deux jours et les choses prirent un tout autre aspect, grâce à ce magicien incomparable niais capricieux.
La population elle-même, cette froide et sérieuse population lyonnaise, en a été comme transformée. Elle a fait à notre hôte éminent, M. Raynal, ministre de l'Intérieur, un accueil chaudement sympathique. Aucune note discordante ne vint troubler la fête, qui fut vraiment une belle journée, digne d'une grande cité républicaine; célébrant l'accord fécond du travail, de la paix et de la liberté.
Je crois que si la petite troupe discourtoise des manifestants du 29 avril avait essayé de renouveler ses piètres exploits, cette fantaisie de mauvais goût lui aurait couté cher. La foule se fût, certainement fâchée tout rouge, comprenant qu'il était de son devoir de châtier rudement les malappris dont les incartades eussent porté atteinte au bon renom de Lyon, en même temps qu'aux intérêts considérables engagés dans l'Exposition.
Rien de pareil ne s'est produit. Les excitations prodiguées par des journaux qui cherchent le scandale parce qu'ils en vivent, sont tombées dans le vide. M. Raynal n'a recueilli sur son passage que des hommages et des vivats, juste tribut de respect trop légitimement dû au représentant du gouvernement de la République, au membre d'un cabinet qui a tant fait pour le succès désormais incontesté de l'Exposition.
Les plus enthousiastes ont été les gymnastes dont le ministre de l'intérieur a présidé la distribution des récompenses. M. Raynal leur a adressé une harangue qu'il faut lire et relire, car c'est un hymne éloquent à la Patrie. Ces grandes paroles étaient bien à leur place au milieu de l'admirable et vaillante jeunesse dont les phalanges se groupaient, drapeau en tète, autour de la tribune du ministre. Ceux-là sont l'espoir et l'orgueil de la Patrie. Nous étions émus profondément en voyant les exercices rythmés de ces soldats de demain, superbes de jeunesse, de discipline, de force élégante et souple.
Certains de leurs mouvements d'ensemble ont été étonnants pour la beauté des lignes et l'énergie des altitudes. On eut dit les jeux olympiques de l'ancienne Grèce, restitués dans cette Grèce moderne qui est la France. Que d'applaudissements lorsqu'ils se sont tous à la fois ils étaient deux mille étendus sur le côté, s'appuyant sur la main gauche en levant au ciel le bras droit et la tête dans la position du gladiateur blessé ! Il n'y a pas au théâtre de spectacle aussi impressionnant et aussi noble.
Nous aussi nous saluons ces jeunes athlètes au corps robuste et à l'âme fière. L'avenir de la nation est dans leurs mains. C'est à eux que nous devons de pouvoir garder l'indomptable espérance, et leur aspect a rendu moins amères les larmes qui montaient aux yeux de tous, ou voyant défiler les drapeaux crêpés de deuil des Sociétés lorraines...
Avez-vous assisté aux fêtes de nuit de l'Exposition ? Si oui, vous y retournerez sûrement. Si non, ne manquez point la prochaine ! L'Exposition de 1889 n'eut rien d'aussi prestigieux à offrir à ses visiteurs. On ne se doute pas du spectacle magique qu'offrent, par une belle nuit, le parc de la Tête-d'Or et son lac, illuminés par les lanternes de couleur, les rayons électriques et les feux changeants des fusées de Ruggieri. C'est un éblouissement, une apothéose de féerie où les verdures profondes, les eaux moirées et l'horizon bleu c'est-à-dire toutes les splendeurs de la nature semblent s'être réunies pour permettre aux décorateurs et aux artificiers de réaliser en les dépassant les rêves des poètes.
Et s'il vous plait de goûter un plaisir confortable et rare, prenez une gondole. Les gondoliers eux-mêmes vous diront que Venise n'a point d'aussi radieuses fêtes vénitiennes !