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    Le crime de Chambles : assassinat d’un ermite.

    Quand on suit la pittoresque vallée de la Loire, entre Saint-Rambert, Chambles et Saint-Victor-sur-Loire, on aperçoit les derniers vestiges d'un ancien château féodal ainsi que les ruines d'un vieux couvent d'Oratoriens, situé à Notre-Dame-de-Grâce, sur le territoire de la commune de Chambles.

    Depuis plus d'un demi-siècle, un vieil ermite, connu sous le nom de frère Jacques Brunel appartenant à la congrégation des frères de la doctrine chrétienne, vivait dans l'antique monastère.

    Ce solitaire, âgé de quatre-vingt dix ans au moins, était connu de tout le monde à plusieurs lieues à la ronde. Revêtu d'une soutane presque aussi vieille que lui, il parcourait le canton de Saint-Rambert en demandant la charité. Plusieurs légendes, toutes plus bizarres les unes que les autres, s'étaient créées autour de sa personne. Ses prières, disait-on, portaient bonheur; il excellait dans l'art de guérir les bestiaux, et le ciel l'avait comblé de ses dons!

    Le dimanche 21 juin, vers midi, des touristes qui avaient l'intention de faire une visite à Notre-Dame-de-Grâce trouvèrent l'anachorète assassiné. Les meubles qui garnissaient sa maison avaient été bouleversés de fond en comble et mis littéralement au pillage. On acquit aussitôt la certitude que les assassins n'avaient eu que le vol pour mobile. Le frère Brunel, qui vivait d'aumônes et avait la réputation d'être très malheureux, n'était pas sans fortune. En effet, on a trouvé dans son domicile plusieurs pots de terre, des casseroles remplies de monnaie d'argent et un grand sac pesant 100 kilos contenant de la monnaie de billon, le tout ayant une valeur assez considérable. Malgré cela, l'ermite, à qui les malfaiteurs avaient dérobé récemment une dizaine de francs, déclarait à ses donneurs , non sans amertume, qu'il était sans ressources.

    Il résulte des constatations médicales que l'ermite, qui était très faible en raison de son grand âge, a été étouffé pendant son sommeil. L'assassin a dû lui mettre la main sur la bouche pour amener l'asphyxie.

    Plusieurs arrestations ont été opérées à la suite de ce crime, notamment celle d'un anarchiste nommé Ravachol, sur lequel pèsent les charges les plus graves. La maîtresse de Ravachol une femme Rulhière, a fait en effet des aveux partiels, et on a trouvé à son domicile, ainsi qu'à celui de son amant, plusieurs milliers de francs en menue monnaie provenant du trésor dérobé à l'ermite. Malheureusement l'assassin présumé a réussi à s'échapper des mains des gendarmes qui le conduisaient à Saint-Etienne. Malgré les plus actives recherches il est demeuré introuvable depuis, et cette évasion augmente encore l'intérêt sensationnel de ce drame réellement extraordinaire. Nous avons envoyé sur le théâtre du crime notre dessinateur, M. Girrane. Il en a rapporté des croquis très curieux et très exacts, à l'aide desquels notre première page a été composée.

    Le premier dessin représente les ruines de Notre-Dame-de-Grâce, la maison et la cabane de l'ermite. Car le frère Brunel n'habitait pas, comme on l'a dit, dans une cabane. Pendant le jour il se tenait En prières dans la hutte qui est représentée à droite de la gravure. Cette masure, meublée d'une croix et d'une tête de mort, était visible de la route, situation permettant à l'ermite d'être aperçu par les passants et de récolter d'abondantes aumônes. Mais à quelques pas derrière s'élevait sa maison, telle que l'a représentée notre dessinateur, maison relativement confortable et dans laquelle il couchait. A gauche a été encarté le portrait du frère Brunel, avec sa longue soutane rapiécée, le chef couvert du gibus 1830 dont il se servait pour ses tournées dans les environs, les pieds chaussés de mauvaises sandales. Notre second dessin reproduit la scène du crime : l'ermite surpris dans son sommeil, est étouffé par l'assassin. Là encore tous les détails sont de la plus scrupuleuse exactitude. La chemise qui masque la fenétre est une précaution prise par l'auteur du crime; à côté, le prie-dieu surmonté d'une croix de cimetière ; à gauche, au-dessus de la porte de la cuisine, un buste de saint Bruno dont la barbe, détail bizarre, a été peinte, en noir.

    Nous sommes sûrs que cette page curieuse intéressera vivement les lecteurs du Progrès illustré.

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