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Causerie Lyon, 6 mars.

Le printemps est en avance cette année, et nous avons comme une esquisse de renouveau. Il y a de la tiédeur ensoleillée! dans l'air, des violettes plein les éventaires des petites marchandes des rues, et au Parc de la Tête-d'Or le corselet des premiers bourgeons verts commence à pointer aux branches des lilas.

Il est bien curieux à visiter en ce moment notre Bois de Boulogne lyonnais. J'y fus dimanche, et je suis revenu émerveillé de la promenade. C'est décidément tout un monde que l'Exposition de Lyon a créé en ce cadre unique, qui sera prestigieux quand, les arbres ayant reverdi, l'ombre des frondaisons frissonnera sur l'eau du lac, au milieu des splendeurs de l’été.

Que de chemin fait, que de tours de force réalisés, que de grandes choses accomplies depuis le jour - il y a deux ans à peine - où M. Claret, se substituant aux premiers concessionnaires, conçut l'initiative hardie, que la plupart jugeaient chimérique, d'égaler à Lyon les prodiges de 1889 par une manifestation d'industrie et d'art où s'affirmerait triomphalement le génie de la seconde ville de France !

Aujourd'hui on ne saurait plus douter du succès. Devant l'importance puissamment démonstrative des résultats acquis, devant les édifices comme la Grande Coupole, - cette cathédrale de fer élevée à la gloire du travail, Dieu des sociétés modernes, - devant les palais coloniaux d'architecture si pittoresque et d'un exotisme si exact qui transplantent à Lyon la Tunisie, le Tonkin et l'Algérie, devant ces décors multiples qui surgissent en quelques jours comme sous une impulsion magique, les plus incrédules sont obligés de s'avouer vaincus.

C'est d'ailleurs ce qu'ont fait les Parisiens qui étaient assez froids au début, lorsqu'on leur parlait de l'Exposition de Lyon. Les pouvoirs publics eux-mêmes mettaient une extrême réserve à donner leur concours, malgré les instances de la municipalité. Tout coin est changé aujourd'hui. La presse parisienne a compris la grandeur et la haute portée de l'oeuvre entreprise. Elle y collabore avec un bel entrain par des articles qui ont donné déjà un essor nouveau à l'Exposition. Quant au gouvernement qui ne voyait d'abord qu'une entreprise particulière, là où la Ville de Lyon est enjeu en même temps que des intérêts généraux de premier ordre, il a lui aussi changé d'attitude et ne marchande plus ses sympathies.

De sorte que le 26 avril, l'Exposition universelle de Lyon ouvrira ses portes pour l'inauguration officielle, comme l'a toujours promis M. Claret, dont la confiance, malgré vents et marées, ne s'est jamais démentie. Peut-être pourrait-on se plaindre des à-coups, des lenteurs et du formalisme étroit dont il a été entravé. Mais l'heure n'est pas aux récriminations, pas plus qu'aux remontrances rétrospectives. Il s'agit maintenant d'achever ce qui a été si bien commencé, et d'y parvenir par l'accord fécond de toutes les bonnes volontés, de tous les dévouements qui se sont groupés autour de l'Exposition.

Le Figaro et le Petit Journal, n'ont-ils pas annoncé que, sans pâlir à coté des souvenirs de 1889, elle serait la digne préface de l'Exposition qui saluera en 1900 l'aurore du vingtième siècle? Voilà une prédiction qu'il importe de justifier intégralement.

Nous venons d'avoir une semaine fort intéressante au point de vue théâtre. Aux Célestins, le Théâtre-Libre a donné une série de représentations des plus suivies. Mais le succès a été pour l'excellente troupe d'Antoine encore plus que pour son répertoire. Disons le mot sans barguigner : il est presque toujours d'une immoralité répugnante. C'est à qui parmi les auteurs du Théâtre-Libre décrochera le record des pièces immondes. Cette peu enviable timbale appartient sans conteste à l'écrivain de l’Ecole des Veufs et de la Dupe. Je défie un homme de bonne foi et de bonnes moeurs d'entendre cela sans écoeurement. Et dire que la jeune école qui s'enlise dans ces productions boueuses a la prétention d'avoir le monopole de la vérité, alors que toutes ses oeuvres sont de pure convention ! Seulement c'est de la convention malpropre. Convenu pour convenu, j'aime mieux celui de l’Abbè Constantin ou même - ô profanation ! - celui du Maître de Forges.

En revanche, Antoine possède un talent si personnel et si sincère, sa troupe est si bien « entrainée » par ce metteur en scène sans rival, que l'interprétation réussit à mettre une sauce piquante autour des pièces et à en dissimuler la fâcheuse odeur.

Au Grand-Théâtre, la reprise de Tannhauser a été une des meilleures soirées de la saison. Cette fois, il nous fut permis de goûter dans toute sa pure saveur mystique l'opéra de Wagner, dont le premier et le troisième acte sont assurément des plus beaux qu'il y ait au théâtre. Quel puissant symboliste que ce Wagner, et comme il a su rendre visible et dramatique l'éternelle lutte qui déchire le coeur de l'humanité : le combat de la volupté et du devoir, le heurt du bien et du mal ! L'interprétation, c'est Lafarge, un Tannhauser comme il n'en ont pas en Allemagne ; c'est Mlle Janssen, poétique comme une sainte de vitrail et dont la voix a d'enchanteresses douceurs ; c'est Mondand, baryton superbe, et comédien de race ; c'est enfin l'incomparable orchestre de Luigini.

Mais les foules iront plus nombreuses encore au Faust de Gounod, auquel des costumes neufs et de somptueux décors viennent de refaire une nouvelle jeunesse. Encadrée telle que nous la vîmes hier, la Nuit du Walpurgis suffirait à elle seule à attirer le public. Et M. Affre chante Faust délicieusement.

Voilà donc une fin de campagne qui s'annonce aussi brillante que moroses furent les débuts. Tout est bien qui finit bien…

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