Causerie
Le « fumiste » est le plus souvent un personnage assez fâcheux. Ses plaisanteries, presque toujours, sont de mauvais goût. Pour un Sapeck, qui a montré dans ce genre de l'imagination et de l'esprit, combien d'inexcusables grotesques ! Et j'avoue ne point comprendre la notoriété conquise par certains professionnels de la mystification. Mais enfin si leurs trouvailles ne font pas toujours rire, elles ne méritent guère pour tout châtiment que le dédain.- étant généralement inoffensives.
Seulement c'est une autre affaire quand il s'agit de fumisteries suivant le goût anarchiste, mises à la mode à la suite des récents attentats, par une sorte de contagion singulière. Nous voyons aujourd'hui de macabres imbéciles fabriquer de fausses bombes en manière de divertissement. Leur joie, à ces plaisantins sinistres, est d'allumer des pétards ayant l'aspect d'engins qui puissent faire croire à une véritable explosion et semer la panique chez les bonnes gens. Jeter l'émoi dans toute une maison, où il peut y avoir des enfants, des vieillards, des malades; alarmer par contre-coup une ville entière, sur des récits de journaux faits de bonne foi ; troubler gravement les intérêts et les affaires, - tel est le résultat des facéties de ces messieurs.
C'est ainsi que nous venons d'avoir, à Lyon, trois bombes en deux jours, dues à des personnages d'humeur drôle, qui ont voulu simplement s'amuser. N'est-ce pas, chacun prend son agrément où il le trouve ? Mais ces plaisirs-là sont de ceux qu'il est bon de faire payer cher !
J'imagine que si l'enquête aboutit, et si l'on pince un ou plusieurs de ces « bombiers », les tribunaux n'iront pas de main morte. Un farceur de cet acabit s'est fait prendre assez récemment à Versailles : on le gratina d'un an de prison. C'est une jurisprudence à recommander aux juges de Lyon, pour le cas, assez improbable d'ailleurs, où la police ayant pour une fois la main heureuse, la mettrait au collet du citoyen folâtre qui a voulu simplement « en faire une bien bonne », en organisant l'explosion de la rue de la Thibaudière ou celle de la rue de la Monnaie.
En fait de fumisteries, je préfère celles que vient de nous révéler un document parlementaire: le rapport sur les pétitions déposées sur le bureau de la Chambre pendant l'année 1893. Vous n'ignorez pas qu'en vertu de la Constitution chaque Français a la faculté de s'adresser au Parlement pour demander tout ce qui lui passe par la tête. De son côté, le Parlement a le droit - et il en abuse ! - de n'en tenir aucun compte. Jamais, au grand jamais, on ne vit pétition aboutir à quoi que ce soit. Cela n'empêche point que beaucoup de citoyens ne se livrent volontiers à cette distraction innocente. Si ça ne fait pas de bien, ça ne fait toujours pas de mal, - et puis ça vaut toujours mieux que d'aller au café !
Le droit de pétition est donc un apanage de la citoyenneté ; « c'est un droit qu'à la porte on achète en entrant » - de même que les spectateurs de l'Opéra- Comique ont celui de combler Mlle Jeanne Harding de queues de morues, de pigeons, de lapins et de mou de veau - hommages de sympathie dont le symbolisme est à la fois puissant et clair..
.La statistique nous apprend que les pétitionnaires abondent. Il en est même d'ineffables. Exemples choisis entre mille dans le rapport cité plus haut :
M. V... se plaint que les affiches placardées par lui dans Paris aient été déchirées ou recouvertes et s'adresse à la Chambre pour empêcher le retour d'errements aussi regrettables.
Non ! mais voyez-vous la Chambre, son président en tête, montant la garde devant les affiches de M. V... ?
M. S... demande la plantation d'arbres fruitiers le long de toutes les routes de France et des colonies.
Celui-là doit être pépiniériste ou « pipiniériste », - comme dit Bobin dans le Chapeau de paille d'Italie.
M. F... propose la création d'un impôt facultatif.
Voilà qui ferait plaisir aux contribuables ; mais le nouvel impôt n'emplirait guère les caisses publiques !
M. C., à Sommerville (Australie), demande à être nommé « compositeur honoraire de morceaux militaires pour l'armée française »!
Et enfin cette perle rare :
M. B. demande la création d'un canal reliant la Méditerranée à l'océan Atlantique, DONT IL A BESOIN POUR SES AFFAIRES.
Rien que ça !
Qui donc pourrait encore prétendre que Calino n'existe pas, qu'il a été inventé par les faiseurs de nouvelles à la main ?