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Causerie. Le salon lyonnais.

C'est une tradition, dans ce journal, que le chroniqueur chargé de passer en revue toutes les manifestations intéressantes de la vie lyonnaise, consacre annuellement une causerie au Salon de Bellecour. Deux colonnes par an, c'est en vérité assez peu de chose. L'avouerai-je pourtant? C'est encore trop. Ce qu'on appelait jadis « l'école lyonnaise» va chaque année faisant peau de chagrin, dégringolant, à part des exceptions toujours plus rares, du passable au médiocre et au pire. Et peut-être, au lieu d'entamer un nouveau compte rendu, serait-il plus expédient de reprendre celui de 1893 en le poussant, simplement, davantage au noir.

Car il nous faut recommencer les mêmes doléances et accentuer les mêmes critiques. Le niveau moyen s'abaisse de plus en plus; les peintres du cru, dont la personnalité émerge vraiment, ne sont guère à eux tous qu'un quarteron et les artistes parisiens consacrés par le succès apparaissent encore moins nombreux qu'aux précédents salons.

En revanche, le déluge effroyable de la peinture de jeunes filles, - qu'encourage l'extrême clémence de messieurs les professeurs du jury, - envahit tout, même la cimaise, où cent tableaux s'étalent parfois à la file sans qu'on y puisse découvrir une parcelle d'art ou de talent.

Vous reconnaissez-là, n'est-ce pas, l'antienne pessimiste dont j'accompagne depuis quatre ans notre commune promenade à travers les galeries de Bellecour. Que de toiles dans ces six salles ! Mais hélas ! combien peu de tableaux !

Dans la salle d'entrée la première impression est agréable grâce à la Dormeuse de Frappa (295), une jolie femme faisant la sieste, dont on ne voit que le buste nu, d'un ton de chair harmonieux et d'un capitonnage fort confortable. A côté (85) M. Paul Biva expose de vaporeuses pivoines à l'éclat triomphal. Les Prunes de M. Claude (172) sont d'une saveur qui fait venir l'eau à la bouche. Les deux toiles de M. Claus (174 et 175) valent par une recherche de plein air qui séduira les amoureux de la nature : L'avalanche d'or des blés murs est heureusement rendue dans la Sieste, et la Faneuse est bien enveloppée d'atmosphère. Parmi les peintres de fleurs lyonnais, M. Euler se place au tout premier rang par la virtuosité de ses Pivoines (266).

Tout un panneau de la petite salle du fond à gauche est occupé par la Mort du Pacha de Benjamin Constant. C'est immense et vide ; couleur bitumeuse ; dessin indécis ; cela n'offre guère que l'intérêt « mélo » du sujet ; bref fort au-dessous du renom de l'auteur. Très gentille dans sa grâce un peu maniérée la Marchande de pommes de terre frites (1) de Mlle Achille Fould. Les deux paysages (381 et 382) de M. Iwil méritent d'être loués pour leur coloris brillant et juste. Quant au jambon et au fromage de Brie de M. Lacanne - que le livret ne mentionne pas - on se sent faim rien qu'à les regarder. M. Musin a deux petites toiles (521 et 522) où le gris lumineux des brumes hollandaises, que le soleil pénètre, est joliment traduit. M. Noirot est presqu'un Lyonnais : il peint à Roanne. C'est un robuste paysagiste qui s'est contenté cette année de deux cartes de visite (529, 530) point banales. J'aimerais surtout le coin du midi à Tamaris, avec les touches larges de la mer bleu sombre et ses maisons ensoleillées, n'était le palmier - plumeau qui se dresse au milieu. Le Retour du Verger (20) de M. Armbruster vaut par sa composition soignée.

Nous pouvons, maintenant sans scrupules - oh, oui ! - négliger le surplus et passer à la grande galerie du côté Saône. Tout d'abord un sincère Intérieur hollandais de Salle (658) ; le Vanneau de Thurner (688) ; un distingué portrait de femme par M. de La Brély (121) ; les pommes -vertes sur papier blanc - de M. Yung (735).

L'envoi de Jean-Paul Laurens (416) n'est guère qu'une étude décrochée au petit bonheur dans l'atelier du maître. Mais cette reine mérovingienne - le cou penché dans la ferveur de la prière, les vêtements lourds, précieux et raides - ressort pourtant d'un fier relief, d'un style magistral.

M. Nozal nous montre le Crépuscule dans la baie des trépassés (531) : une mer moutonneuse que l'on sent redoutable, des rochers sombres, un vol de corbeaux, l'horizon triste - tout cela traité largement. Il y aurait de l'injustice à ne pas reconnaître l'effort considérable et assez heureux tenté par M. Bauer. Son J.-J. Trousseau cbez Mme de Warens (45) est une toile agréable, ingénieusement composée, peinte adroitement quoique trop sèche de touche. La « petite maman » de Jean- Jacques y est jolie. Seulement on ne dirait pas Mme de Warens - mais bien plutôt une soubrette Louis XV, quelque sémillante Lisette de Marivaux. La Matinée de Septembre, bords du Surau (Ain), de Balouzet, est assurément une des meilleures oeuvres du Salon et la plus complète parmi celles des peintres lyonnais. Le coup de soleil, qui illumine au premier plan la prairie et le coin de rivière, contraste superbement avec l'ombre froide dont s'embrume la colline du fond. L'effet est intense de poésie. On retrouve les mêmes qualités dans le Crépuscule (29) de la salle voisine, où ce peintre hardi et vigoureux a su encore affirmer son grand sens et son exacte vision de la nature. Les Petits Tambours (640), de M. Maurice Roy, ne me séduisent qu'à moitié : ces bonshommes ont l'air de sortir tout vernis du Grand Bazar. J'aime mieux son Récit (641) encore que ce ne soit qu'une esquisse. L'excellent Cocquerel a un double envoi : Gibier (178) et Poisson (179) dont le premier surtout fera bel effet dans une salle à manger. Vuillefroy, le maître animalier, a brossé un Retour du Paturage (728) avec de vraies vaches en mouvement.

Il y a moins à voir dans le grand salon du côté Rhône. M. Appian fils (14), y tient une bonne place par sa Fantaisie d'Automne, une jeune femme endeuillée et fleurie de chrysanthèmes. C'est un portrait brillant que je voudrais seulement plus solide. Le père Appian (12), dans les Martigues, fait papilloter et frissonner avec son charme coutumier la mer et le ciel de Provence.

Le paysage de M. Beauverie, Ramiers sur le Lignon (52) est fin et plus serré de facture que son marché aux cochons (51). La grande Fenaison (294), de Français, n'ajoute rien à la gloire de cet artiste apprécié. Etincelant de coloris spirituel et de verve pimpante le Marchand de parapluies, de Menta (482). Quand j'aurai cité une chaude Marine, de Malfroy ; la Dernière Visite au condamné, de Van den Ouderaa (71), où les groupes sont bien ordonnés et bien dessinés, il sera temps de pénétrer dans la salle de sortie.

La floraison des croûtes y est extraordinaire. Il faut pourtant jeter un coup d'oeil à la Procession (209), de Dantan, toile monotone malgré le talent dépensé. Dans le même genre, j'ai omis de citer (salle du côté Saône, n° 158) le tableau de M. Chanut, A l'Office, où il y a un sentiment profond et des types remarquablement observés. N'avez-vous pas vu, dans quelque église de village, cette vieille aux mains jointes, et ce brave homme qui lit si attentivement son paroissien ?

On constate de la patte, mais cela seulement, dans le portrait de femme en rose, de Lévigne (432). Les Chrysanthèmes, du père Vernay (78) ont l'air d'être en grès. Très vibrants et très « pleinairés » les Foins de Mme Vallet (710). Le Repos Eternel (738), de Valadon, appartient à l'Etat. C'est un morceau de valeur et de caractère. Les mains sont belles - mais il manque à ce buste de trépassée la pâleur livide de la mort.

L'annexe du fond est réservée aux aquarelles et pastels. Il y en a, dans le tas, qu'il faut regarder comme les fraîches, les exquises Avalées et Primevères (893) de Rivoire et ses Coquelicots (892) dont le rouge éclate en fanfare ; le Balcon de ferme (899) de Paul Seguin ; le Soleil couchant dans les nuées - oh, ces canards! - de Smith-Hald ; le crayon d'Armbruster (742) ; la Tête de paysan de Barriot; les fleurs des deux Biva ; la tête de femme Dans le bleu, de Mlle Dauvergne, qui lui fait pardonner son portrait de madame G..., lequel pourrait s'appeler : dans le jaune ; l'Etude (883) de M. Piot, où resplendit un dos que je vous recommande, surtout le bas; un bout de sanguine curieux de Puvis de Chavanne; et enfin la jolie frimousse de Parisienne au bal masqué, enlevée, avec un brio si vif, par Mme Frédérique Vallet (3o).

Les sculpteurs ont peu donné cette année. Il convient de mettre hors de pair le plâtre de M. Vermare, Après la faute (293), pour la pureté des lignes et la grâce précise du mouvement. Parmi les Lyonnais, on goûtera le Rétable, de Devaux (949) ; la scène du Dépit amoureux (954) de M. de Gravillon; le Médaillon du docteur Tripier, où se retrouve toute la science de M. Aubert (132).

Après quoi on peut s'en aller... C'est un maigre bilan. On nous affirme, à vrai dire, que nos artistes se sont réservés pour l'Exposition universelle lyonnaise. C'est une excuse qu'il faut accepter - provisoirement.

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