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Causerie. Lyon, 18 décembre

Nous avons à Lyon une association qui fait d'excellente besogne, mais peut-être pas assez de bruit : la société des Amis de l'Université. Or nous vivons en un temps où la réclame est nécessaire. Si intéressante que soit une oeuvre par elle-même, - et celle-là l'est au plus haut point, - il lui faut faire parler d'elle beaucoup et souvent. Tant d'objets nous sollicitent, dans le tourbillon enragé de la vie moderne, que seul le souci nous reste des choses qu'on nous rappelle fréquemment.

Ainsi les Amis de l'Université ont organisé des conférences périodiques, où des gens de talent, - qu'ils soient de Lyon ou de Paris, - viennent traiter les sujets littéraires et scientifiques qui préoccupent notre temps. Cela est fort bien. Il faut louer la Société du choix de ses conférenciers et de l'intérêt de leurs causeries. Mais il me semble que ces petites fêtes de l'esprit sont un peu trop intimes. Ce qui se poursuit, en somme, c'est une oeuvre de vulgarisation. Ne serait-il point possible, de les annoncer avec plus d'éclat, d'y intéresser plus de monde, et d'y faire participer davantage le grand public ?

Quoi qu'il en soit, la société est assurée des sympathies de tous. On me dit que la dernière conférence organisée par elle - orateur M. Larroumet - a eu un gros Succès. Je le crois volontiers et je regrette fort de n'y avoir pas assisté. A ses tout premiers débuts, M. Larroumet fut professeur au lycée où

Rêveuse bourriqueGrand diable de seize ans j'étais en rhétorique,
et il m'eût paru piquant de comparer le modeste agrégé de jadis au brillant membre de l'Institut. Car M. Larroumet a fait depuis lors un assez joli chemin...

Sa conférence a été consacrée à Ibsen, le dramaturge norvégien que les fanatiques du symbolisme essaient de faire passer pour un second Shakespeare. M. Larroumet, si j'en juge d'après les comptes-rendus, n'a point partagé cet enthousiasme. Il a reconnu le talent de l'écrivain, mais sans s'extasier sur son génie novateur, - nos auteurs dramatiques français l'ayant devancé depuis longtemps déjà.

Il a expliqué aussi l'épaisse obscurité qu'on lui reproche, par ce fait qu'Ibsen peint des moeurs qui nous sont ignorées et des caractères qui n'ont point d'analogues chez nous. Comme dit l'autre, j'aime mieux le croire que d'y aller voir. Mais quelle qu'en soit la cause, il est malheureusement trop certain que les oeuvres d'Ibsen sont de vrais casse-tête chinois pour des caboches françaises. J'ai vu jouer Hedda Gabler au Vaudeville, et j'en suis sorti avec une tête grosse comme ça. Cela est étrange, biscornu, hors nature - et, par surcroit, enveloppé d'un brouillard qui rappelle ceux dont nous jouissons au confluent du Rhône et de la Saône.

Ah ! que M. Larroumet a raison de préférer à cet exotique surfait les vivantes oeuvres de Dumas fils ! Voyez quel succès vient d'obtenir à l'Odéon le Fils naturel qui n'est pourtant pas une des meilleures pièces du maitre. Mais le sujet en est emprunté aux entrailles mêmes de l'humanité. Et puis il y a une action puissante et claire, un style éblouissant de netteté. Aussi, comme elle ressort superbement cette thèse qui est d'un si profond intérêt social !

Voilà du théâtre, du bon et du vrai, comme ils n'en ont pas en Norvège !

La deuxième chambre du tribunal civil de Lyon, présidée par M. Avril, un de ces rares magistrats sachant toujours mettre d'accord l'équité et le droit, vient de rendre un jugement qui honore la justice. Il s'agissait de poursuites férocement exercées parmi créancier contre son débiteur, qui avait pourtant offert de payer et déposé dans ce but, somme suffisante chez un notaire. Mais comme il y manquait le montant de quelques menus frais de procédure, notre Shylock mit en mouvement les huissiers et les avoués pour exproprier incontinent le débiteur.

Heureusement qu'il y a encore des juges à Lyon ! Le tribunal a débouté le créancier impitoyable en des termes sévères et l'a même condamné à des dommages-intérêts dont le chiffre est assez rond.

Voilà de bonne justice. Saint-Louis, sous le chêne de Vincennes, devait juger de la sorte. Pourquoi faut-il qu'il en soit trop rarement ainsi et que les hommes de loi soient si communément implacables pour les opprimés, cléments pour les oppresseurs? Pourquoi le jugement rendu par M. Avril a-t-il été une manière de petit événement dans notre Landerneau lyonnais, si ce n'est parce qu'il est rare que la raison ait raison, et que la justice soit vraiment la justice? Rabelais disait : Les lois sont comme les toiles d'araignée ; les gros frelons passent à travers, tandis que les simples moucherons y restent toujours pris. Cette fois c'est le frelon qui a écopé. Mais hélas! combien peu sont pris dans le filet de la procédure, comparativement aux innombrables petites mouches qui en meurent injustement!

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