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Causerie

Le dernier recensement attestait l'existence d'un si grand nombre de centenaires que l'Administration a ouvert l'œil, ou si vous aimez mieux, elle a dressé l'oreille, ces deux métaphores organiques ayant le même sens, bien qu'elles s'appliquent aux sens de la vue et de l'ouïe.

L'homme est vraiment un étrange animal ! et la femme donc ! Tantôt ils cherchent A escamoter un certain nombre de leurs printemps, tantôt au contraire, ils trouvent piquant d'ajouter à leur âge déjà considérable une demi-douzaine d'hivers.

Devant un dénombrement aussi imposant de macrobites séculaires, la Commission de statistique a soupçonné qu'on lui posait de vénérables lapins, et elle a procédé à une petite enquête, d'ailleurs très simple, dont il résulte qu'une moitié au moins des prétendus centenaires n'ont pas même atteint leur quatre-vingt-quinzième année. Se représente-t-on l'état d'esprit des vieux farceurs qui, après s'être rajeunis, sans aucun doute, dans la première et même la deuxième partie de leur existence, mettent leur amour-propre à se vieillir dans la dernière?

Telle n'était pas, à coup sûr, la manière de voir du vieux et spirituel Mignet.

Savez-vous, Mignet, lui disait un jour une amie, qu'on vous donne quatre-vingts ans ? C'est possible, répondit-il très vivement, mais je ne les prends pas!

Les Parisiens, que notre « ficelle » empêchait de dormir, ont voulu se donner, eux aussi, le luxe des funiculaires. Ils ont formé le projet d'en établir deux : l'un à Belleville, l'autre à Montmartre. La façon dont le premier fonctionne, ou plutôt ne fonctionne pas, semble renvoyer aux calendes grecques l'exécution de l'autre.

Rien n'est plus comique que l'histoire du funiculaire de Belleville.

Après des travaux d’une durée extraordinaire, on s'est aperçu que le système était défectueux. Tantôt les voitures gravissaient la côte, tantôt elles arrêtaient en chemin, avec des airs exténués. Tout d'abord les Bellevillois prirent gaîment la chose. Ils mettaient pied à terre avec résignation, et comme il se trouvait invariablement des loustics pour égayer la situation, on en avait toujours pour ses six sous.

Mais un triste jour l'ère des accidents vint à s'ouvrir. On vit une voiture du funiculaire dévaller des hauteurs bellevilloises, avec une rapidité vertigineuse, tandis que la trompe du conducteur (je parle bien entendu de celle qu'il actionne au moyen d'un soufflet) poussait des mugissements désespérés.

Un fiacre pris en écharpe, fut... écharpé !

Un marchand de légumes qui poussait sa voiture à bras, fut bousculé et disparut sous un monceau de laitues et de haricots verts, au milieu duquel la carotte jetait sa note vibrante. Une vieille dame sourde fut tamponnée.

Belleville fronça le sourcil...

Alors, on reprit le funiculaire en sous-œuvre ; à grands frais on recommença l’éventrement douloureux de la voie publique. On en était déjà à une dépense de plus de quatre cent mille francs et tout ça, par jalousie envers les Lyonnais, parce que, du diable si on a besoin d'un funiculaire à Belleville ! Au fond, les Parisiens cherchaient à faire croire qu'ils avaient l'équivalent des hauteurs de Fourvière.

Où la vanité va-t-elle se nicher !

Bref, pendant plusieurs mois on a multiplié les essais, les tâtonnements, et tout allait cahin-caha. On se demandait chaque matin, quel serait l'incident du jour. Les chansonniers et les caricaturistes se mirent de la partie. Les employés du funiculaire furent assimilés à des rentiers oisifs. Ils ne roulaient pas sur l'or, mais leurs voitures roulaient bien moins encore. Depuis quelques jours enfin tout paraisssait entrer dans l'ordre, ou à peu près. On n'osait y croire. Des sceptiques venus de tous les points de Paris, allaient à Belleville simplement pour voir si c'était vrai, et pour en faire part à leurs amis et connaissances.

Tout à coup, nouvel arrêt ! On s'aperçut que les courroies et le câble s'allongeaient, comme le nez des infortunés ingénieurs. On coupa quelques mètres de courroies et de câbles (comme on coupe des saucisses), pour les yeux de Belleville, décidément remis en gaîté par une série de mésaventures vraiment bien extraordinaires.

Pauvres Parisiens, ils ne savent pas ce que c'est qu'un funiculaire. Qu'ils viennent donc à Lyon, nous leur ferons voir comment cela se joue !

Voici, pour finir, un mot superbe d'un filou qu'on jugeait l'autre jour, pour un vol à la devanture commis rue de la République. Il niait avec énergie, bien qu'il eût le plus déplorable des dossiers :

Voyons, prévenu, n'essayez pas de nier, vous avez été vu par trois personnes. Trois personnes! s'écrie le filou. Vous reconnaîtrez, monsieur le Président, que c'est bien peu sur une population aussi considérable que celle de Lyon!... Vous dites que trois personnes m'ont vu, mais il y en a plus de quatre cent mille qui ne m'ont pas vu!
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