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Causerie

Pendant qu'ici on est tout entier aux fêtes franco-russes, il se déroule, de l'autre côté des mers, le dernier épisode d'un drame dont nos lecteurs connaissent tous les détails.

Un officier français, le lieutenant de Segonzac, comparaît devant le conseil de guerre de Saint-Louis du Sénégal, accusé d'avoir assassiné son compagnon, le lieutenant Quiquerez.

L'opinion suit avec une anxiété grande les péripéties du procès. Il s'agit, en effet, pour les juges, de prononcer s'il est ou non prouvé qu'un officier français, perdu avec un de ses camarades dans les solitudes africaines, l'a tué d'un coup de revolver pendant son sommeil.

Certes, ainsi qu'on l'a dit, le moindre doute doit profiter à l'accusé, et si la plus mince vraisemblance subsiste du suicide de Quiquerez, l'acquittement de Segonzac s'impose. Cependant, il faut bien le reconnaître, le faisceau de présomptions réunies contre l'accusé est d'une exceptionnelle gravité, et la tâche de son défenseur ne manquera pas d'être ardue.

Peut-être, tandis que chacun ici commente le drame mystérieux, la vérité éclate-t-elle enfin au cours des passionnants débats qui se déroulent là-bas. Mais jusqu'à ce que la justice se soit prononcée, jusqu'à ce que le verdict du conseil de guerre ait donné le dernier mot de l'épilogue, il faut, quelque tentation qu'on ait de croire à la culpabilité, repousser loin de soi l'idée qu'un officier français a pu se rendre coupable d'un tel attentat.

Et nous nous prenons à penser que si Quiquerez est tombé frappé à mort par Segonzac, il se pourrait que ce fut, non pas assassiné lâchement, mais dans une sorte de duel à l'américaine, dénoûment tragique d'une longue et ignorée rivalité d'amour.

Voici l'époque des rentrées : rentrée des Chambres, rentrée des tribunaux, rentrée des classes. A propos de cette dernière, M. Francisque Sarcey, dans une de ses chroniques universitaires, rappelle quelle était de son temps la vie du collège. En ce qui concerne les récréations il dit :

C'était l'usage dans les lycées de se promener par groupes, comme des péripatéticiens, dans la cour, les uns marchant en avant et les autres à reculons. Notre grand, notre unique plaisir était de causer. Nous ne jouions guerre : c'est à peine si de temps à autre il s'organisait une partie de balle au mur, de barres ou de saute-mouton.

C'était la grande lacune de l'ancienne éducation universitaire. Nous n'aimions pas même la promenade ; tous les exercices du corps nous laissaient froids ; il y avait à la maison de campagne où l'on nous conduisait le jeudi et le dimanche, une gymnastique très confortablement installée. Je ne suis jamais monté sur le trapèze que pour y lire des livres défendus. La position était commode, parce qu'on pouvait de loin voir venir le surveillant, et cacher son volume quelque part avant qu'il arrive.

Peut-être depuis y a-t-il eu quelques excès dans l'engouement dont les générations nouvelles ont été saisies pour les exercices physiques. Mais cet excès vaut mieux après tout que la paresse de corps à laquelle nous nous étions acoquinés. Tout cela se réglera, ou, comme, on dit, se tassera, et il ne restera de cette effervescence qu'un goût plus vif pour les jeux de force et d'adresse.

Conclusion : le retour aux exercices physiques a du bon. Nous nous doutions bien un peu que cette réforme n'avait pas été faite pour des prunes.

Pour des prunes ! La singulière expression ! Voulez-vous savoir d'où elle tire son origine. Ecoutez M. F. Dumonteil :

La reine-claude est certainement la fine fleur des prunes, la plus délicate, la plus juteuse et la plus odorante. Elle trône en souveraine dans les corbeilles aristocratiques, et on lui prodigue les honneurs du bocal.

L'Orient est son berceau, et elle remonte aux croisades. C'est en effet lors de la première croisade que des chevaliers français rapportèrent de la Palestine des pruniers qu'ils offrirent à la reine Claude.

La reine les fit planter dans ses jardins du palais des Tournelles et en surveilla elle-même la précieuse culture. Ces arbres exotiques produisirent des fruits parfumés et savoureux auxquels on donna le nom de « reine-claude ». Il paraît qu'il arrivait assez souvent, pendant la nuit, qu'on volât; ces prunes exquises.

Un jeune et pauvre escholier ayant été pris en flagrant délit, on s'empressa de faire un exemple en le pendant en face des pruniers qu'il avait dévalisés.

Mais voici que quelques jours après, un odieux, vagabond met la main sur des diamants de la Couronne et, comme le malheureux escholier, il est condamné à la potence.

Arrivé an pied du gibet, se drapant dans sa gueuserie avec un cynisme gouailleur, le voleur dit à la foule : Au moins, moi, si je suis pendu, « ce n'est pas pour des prunes !

Telle est l'origine de ce dicton populaire.

En déclarant qu'on a fait ou mérité quelque chose, et que « ce n'est pas pour des prunes », on affirme avoir agi pour un motif sérieux qui en vaut la peine.

Ce n'est certes pas pour des prunes que la Direction des Folies-Bergère, à Paris, va prochainement exhiber la baronne de Rahden, l'écuyère fatale qui fut, à Clermont-Ferrand, on s'en souvient, l'héroïne d'un drame sensationnel.

Cette exhibition inspire à M. Edmond Lepelletier les réflexions que voici:

La notoriété auvergnate ne devait pas suffire à l'héroïne. Paris, invinciblement, l'attirerait, l'aurait. De tout temps une renommée sanglante a fait recette. Jadis on allait aux Mille-Colonnes ; au Palais-Royal, pour contempler la caissière Nina Lassave, la maîtresse de Fieschi. La compagne de Lacenaire, un de nos premiers couteaux, attira longtemps la foule dans un autre débit. Fétis, le galant palefrenier, séducteur d'une riche jeune provinciale, Angélina Lemoine, qui avait fait bouillir son fruit dans une marmite, fut engagé comme garçon de café, cour des Fontaines. Aménoïde, une sinistre vitrioleuse, a trouvé à sa sortie de Clairvaux des commanditaires pour une table d'hôte ; bref, toutes les célébrités de la Cour d'assises sont assurées de trouver à Paris emploi, réclame, gloriole et même le succès.

Mme Melba va partir pour l'Amérique. Vous plaît-il de savoir quelles toilettes elle emporte? Lisez, mesdames :

Dans Lohengrin :

Robe éolienne crème plissée, garnie de passementeries et dentelles or, forme princesse, avec, manteau de cour en drap d'or drodé et semé tout autour de fleurs de lys ; dans le bas, des médaillons peints représentant des têtes d'anges.

Dans la Traviata :

Robe en satin rose vif ; la jupe garnie de volants de satin et de noeuds de la même nuance ; la traîne en faille rose vif formant manteau de cour pris sur l'épaule. Le corsage en satin, garni devant de rivières de diamants avec, touffes de plumes noires mêlées de diamants sur les épaules.

Toilette de bal en satin mauve pâle. La jupe, très ajustée sur les hanches et très simple du bas, garnie d'une guirlande de camélias blancs, prise dans la taille et se perdant de côté sur la traîne. Tout autour de la jupe, des godets en satin mauve, recouverts de dentelles blanches pailletées argent., avec bouquets de camélias au-dessus. Corsage décolleté, en satin mauve, avec longue pointe, devant, et garni de dentelles crème pailletées argent et bouquets de camélias.

Dans Hamlet :

Robe en damas ciel, ouverte de côté sur une jupe en satin blanc. De chaque côté de la jupe, du haut en bas, des noeuds de perles fines et diamants. Longue traîne en damas. Le corsage taille ronde en damas et décolletée avec empiècement, en guipure quadrillée de mousseline de soie et dentelles ; sur le devant, des barrettes en damas, d'où s'échappent des drapés de mousseline de soie blanche. Les manches bouffantes sont serrées par un brassard de damas garni de perles ; ceinture drapée en mousseline de soie ciel et collier de perles. Des noeuds do perles, partant de l'épaule, vont jusqu'au devant de la taille.

Et je passe Roméo et Juliette !

Jacques Mauprat.

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