Causerie Lyon, 14 septembre 1833.
Est-ce que décidément un vent de fronde souillerait sous les lambris solennels de la Comédie-Française? Après l'incident Reichemberg, dont nous subîmes les conséquences, la province ayant été privée d'entendre la petite doyenne, voici qu'un nouveau venu dans la compagnie, le jeune comique Veyret, s'insurge contre la tradition qui, jusqu'à présent régna en souveraine absolue dans l'immeuble de Molière.
L'histoire est minuscule au fond. Elle n'en fait pas moins un gros tapage dans Cabotinville. Paris s'en est ému et le boulevard s'en montre préoccupé. En deux mots, écoutez l'aventure :
Veyret va débuter sous les traits de Scapin des Fourberies, et c'est Coquelin cadet qui devait lui donner la réplique dans le rôle d'Argante. Au deuxième acte, scène VIII, Scapin énumère à Argante quelles vont être les dépenses d'Octave pour se mettre en équipage. Scapin demande beaucoup et Argante voudrait donner le moins possible. Cependant il accorde qu'un cheval ne saurait coûter moins de soixante pistoles :
ARGANTEEh bien ! pour soixante pistoles, je les donne !SCAPINIl faudra le harnais et les pistolets ; et cela ira bien à vingt pistoles encore.ARGANTEVingt pistoles et soixante, ce serait quatre-vingts !SCAPINJustement.
Cet adverbe est l'unique cause de toute la querelle. Les traditions établies par Samson et Régnier veulent que ce mot soit dit après un temps, comme si le personnage faisait mentalement l'addition : Soixante pisloles, plus vingt, font quatre-vingts.
Or, M. Veyret lançait justement
en réplique du tac au tac, sans faire en aparté ce petit calcul. Coquelin le rappela au respect de la tradition. Mais le débutant refusa net de se conformer au conseil de son aîné, et devant cette attitude révolutionnaire, ce dernier a déclaré qu'il ne jouerait pas le rôle. Cest Laugier qui le remplacera.
Il n'en a pas fallu davantage pour que le public s'emparât de l'incident. Les journaux ont interviewé Veyret et Coquelin. Leurs déclarations ont été superbes de dignité, comme il convient pour un conflit aussi grave. L'un et l'autre ont déclaré qu'ils n'en démordraient point et qu'ils coucheraient sur leurs positions. La Comédie en est toute troublée ; l'opinion haletante, suit les diverses phases de l'affaire. Bref, c'est un événement parisien.
Et tout cela pour un adverbe ! Tout cela pour ce justement
! Ce qui prouve qu'en matière de grand art il n'est pas de petit désaccord. Le plus cruel, c'est que le public ne sait pas qui a raison. Coquelin est dans son rôle de comédien arrivé en voulant défendre l'usage établi par les maîtres. De son côté Veyret, le jeune iconoclaste, n'est pas moins intéressant de vouloir briser le moule étroit et suranné de la « foorme » pour affranchir l'art moderne. La déclamation, elle aussi, a besoin de faire son 93. Qui sait si Veyret n'en sera pas le Danton !
Quoiqu'il arrive de cet important problème on ne saurait nier qu'il n'ait passionné, pendant toute une semaine, l'élite intellectuelle de la Ville-Lumière. Admirable sujet, d'ailleurs, à scruter profondément et même à mettre en vers latins!...
Et pendant ce temps, là-bas, au pied des Vosges, la blonde Alsace et la douce Lorraine sentaient leur sol, français quand même, plus insolemment foulé que jamais par la botte du conquérant teuton. Solennellement, avec l'attitude d'un Frédéric Barberousse, l'empereur féodal les déclare siennes et défie qui que ce soit de les arracher à son épée allemande.
Paroles négligeables à côté du différend Coquelin-Veyret. O Paris ! 0 Byzance !
Je n'aime pas beaucoup, d'ordinaire, les articles de fantaisie politique que publient les journaux qui plaisantent volontiers avec les choses sérieuses, comme le Figaro et le Gaulois. C'est un genre qui exige, pour être seulement supportable, infiniment d'esprit. Albert Millaud, lui-même, qui pourtant en avait beaucoup, n'y était pas toujours drôle. Quant à ses successeurs ou imitateurs, ils n'y réussissent guère que d'une façon fort intermittente.
Aussi a-t-on trouvé une saveur particulière à cette jolie scène publiée lundi par le Gaulois : On nous représente M. Wilson ayant le spleen. Depuis plusieurs jours il est plongé dans un noir chagrin. Même, le plaisir de songer qu'il est redevenu député est impuissant à atténuer sa mélancolie. Constamment on le voit morose et silencieux.
Ses familiers s'inquiètent de cette hypocondrie, qui menace d'atteindre la santé du sujet. Mais parlez donc ! lui dit l'un d'eux.
De quoi souffrez-vous? Qu'avez-vous? Hélas! mon mal est sans remède, répond d'une voix éplorée l'élu de Loches, en levant vers le ciel ses yeux et sa belle barbe... - Je voudrais cire le gendre de M. Carnot !





